Un Dîner Féerique (Svein & Ombeline)

Contrairement à Svein qui a un réseau de connaissances quasiment hiérarchisé, entre les relations de sa famille, de son travail et du reste, moi je n'ai qu'un cercle d'amis relativement restreint. Quand nous étions dans le Troms, j'avais quelques amis de longue date, mais qui avaient tous fini par quitter la région petit à petit. Je n'étais pas proche plus que ça de mes collègues, et mes sorties se résumaient quasiment exclusivement à la famille. Soit les enfants, soit mes parents. En dehors de la famille et du boulot, je n'avais que le taekwon-do. On faisait parfois des rencontres le weekend, en été on s'organisait des repas, mais le cadre restait bien souvent sportif. Sinon, pour les soirées entre seuls amis, et bien... c'était souvent les amis de Svein plus que les miens. Même si je les appréciais évidemment, mais c'est différent.

Certes, Ombeline était une collègue de travail. Mais même si je n'avais passé qu'un petit moment (épouvantable) d'une nuit de boulot avec elle, le courant était vraiment bien passé, et je l'appréciais déjà beaucoup. J'avais envie de la voir comme une amie, et j'espérais qu'elle envisage cela elle aussi de la même façon de son côté. Je l'avais donc invitée spontanément à venir partager un repas à la maison ce soir, profitant de la présence de Svein. Lui-même était ravi que je m'intègre ; ce n'est pas facile de déménager à l'autre bout du pays dans une ville où on ne connait personne. Et moi, j'étais ravi qu'il soit présent, pour lui présenter ma collègue, mais aussi et surtout pour faire la cuisine. Lorsqu'il n'est pas là et qu'il n'y a pas de restes... il ne vaut mieux pas que je tente de faire autre chose que des nouilles. Et ça aurait été un peu gênant d'inviter quelqu'un à dîner pour lui servir des coquillettes au beurre, non ?

Pendant que, un torchon sur l'épaule et en sifflotant un air qui passait à la radio, mon petit mari s'occupait du menu, je m'affairais à dresser la table avec les enfants. Les couteaux à droite, un verre à vin pour les adultes... c'était pas non plus une tablée royale avec le grand service des fêtes, mais on s'appliquait à faire honneur à mon invitée. L'apéritif était déjà installé, sur la petite table du salon, devant la cheminée qui ne servait plus depuis quelques semaines.

Enok tentait d'amener l'eau sur la table sans trop en renverser au passage, lorsque la sonnette retentit. Trop occupé avec ses casseroles sur le feu, ce n'était certainement pas Svein qui allait s'y précipiter. Je posais alors ce que j'avais dans les mains pour aller ouvrir, les petits curieux sur les talons. Alors qu'ils restent un peu en retrait, jouant faussement aux timides, j'affiche un grand sourire en tirant la porte avant de la laisser entrer.

- Bonsoir Ombeline ! Entre, je t'en prie. Je te présente nos enfants, Svanhild, Kai et Enok.

Je désignais chacun d'entre eux un par un, qui, polis mais hésitants, lâchaient une petite formule de politesse. Je relevais ensuite la tête en continuant vers le salon, pour présenter mon homme, affairé derrière le bar qui sépare la pièce principale de la cuisine.

- Et mon mari, Svein.

Kai, qui se déplaçait encore avec une béquille depuis qu'il n'avait plus son plâtre, semblait très intéressé par les bonnes effluves qui s'échappaient de ce qu'avait apporté ma collègue. Enok, plus réservé, rejoignait son Daddy dans la cuisine, tandis que Svanhild, gourmande et pas farouche pour un sou, s'empressait de demander si c'était elle qui avait fait tout ça.

Ce soir nous avions une invitée, une collègue d’Ørjan. Ce déménagement avec un nouveau boulot, cela n’a pas été facile pour lui. Je crois bien que de tous les membres de la tribu Jakobsen, c’est lui qui en a souffert le plus. Nouveau boulot, nouveaux collègues et l’incertitude que ce déménagement n’arrangerait peut-être pas notre couple. C’est tout lui, ça de douter, moi j’étais certain que ça ne pouvait qu’aller mieux…quand on frôle le pire, ça ne peut que s’arranger, n’est-ce pas ?

J’adorais cette ambiance qui régnait avec les préparatifs de ce repas. Les enfants étaient comme des abeilles toutes excitées. Pour eux c’était un repas de fêtes alors la table allait être en conséquence et Ørjan n’aura sûrement pas son mot à dire. D’ailleurs quand je jette un coup d’œil à ce qui se passe dans le séjour, je souris en voyant les enfants se disputer qui mettra les couverts, qui mettra les verres ou les assiettes.

– Ça va mal finiiiiir….chéri tu te fais mener par le bout du nez par trois petits trolls…

Je me remets à ma sauce. Un beurre blanc pour accompagner le poisson. Tout me semble cuire parfaitement…mhm je vais baisser mon four. Oh j’ai failli oublier le vin.

– Ørjan ? Tu sais si ton amie aime le vin ? … un vin français ça devrait être plutôt pas mal avec le poisson.

Le torchon sur l’épaule je n’arrive pas à me débarrasser de l’air que j’ai dans la tête… j’appréhende la sortie de ce nouveau Disney …la reine des Glaces. Pour vu que Svanhild ne récidive pas, ça va me rendre dingue cette chanson.

Mes petits amuse-bouche sont prêts. Je suis plutôt fier de moi. Quand ça sonne, j’éteins sous mes casseroles et suis rejoins par notre fils, le plus intimidé des trois. J’ébouriffe ses cheveux avant de le prendre par la main.

– Bonsoir… je suis ravi de faire votre connaissance. J’essaie de me tourner à demi pour qu’Enok finisse par sortir de sa timidité. et lui…c’est Enok. Je lui souris en prenant les deux gâteaux. …Oh vous cuisinez… c’est un point commun que nous avons… j’espère que vous avez un bon appétit.

Je la décharge des gâteaux pour suivre son conseil et récupère la bouteille de vin qui servira d’apéro également. Ombeline c’est un prénom charmant pour une surnaturelle. Ørjan ne pouvait pas m’en parler, il n’est déjà pas au courant de ce que je suis alors comment pourrait-il croire en quelque chose qu’il ignore. Je me demande juste à qui j’ai affaire.

– Buvons à cette rencontre et au plaisir d’être ensemble.

Je ne sais pas lequel de nous deux est le papa le plus laxiste. Peut-être aucun, en fait, ça dépend juste de la situation. Si on leur demande qui crie le plus fort, ce sera assurément Svein. Il faut dire que je ne crie quasiment jamais, en fait. Quand je perds patience, je les envoie se calmer chacun de leur côté, et vais me reposer du mien. Chose qui n'arrive jamais en présence de mon mari. C'est plus tranquille, à deux. Alors je les laisse faire, ou, comme le dit si bien mon homme, je me fais mener par le bout du nez. Je ris un peu et lui réponds en tirant la langue, faisant attention de ne pas me faire apercevoir par les petits trolls. Ils seraient trop ravis de me prendre en flagrant délit de "pourquoi tu le fais alors que nous on n'a pas le droit de le faire". Quand il s'agit de "gros mots" c'est simple : j'appelle ça des mots d'adultes, ce qui les exclut tout bonnement et simplement de l'utilisation des termes incriminés. Là, ce serait plus difficile à expliquer, puisque c'est au contraire typiquement enfantin. Mais ça fait du bien aussi, d'être un peu puéril avec son couple de temps en temps.

- Hm... je suppose que oui, au pire ça en fera plus pour nous ! Je te fais confiance pour le choix, mais un vin californien ou portugais serait pas mieux ? Les français sont pas spécialistes du poisson. Enfin... fais comme tu veux, tu sais mieux que moi.

Mes connaissances en termes de cuisine ne sont pas si minces en réalité. Svein fait ça très bien contrairement à moi, mais surtout, entre les différents alcools qu'il profite de ramener en duty free et les voyages que nous faisons régulièrement, j'ai fini par en découvrir, de la spécialité nationale ! Autant en plats qu'en vins. Mais c'est tout de même mon mari qui s'y connait le mieux, alors... je propose, il fera bien ce qu'il veut.

Notre invitée arrive avant qu'un malheur n'éclate sur la table, qui est presque prête ! Tant mieux, il ne manquera que les serviettes. Pendant que mon mari débarrasse les mains d'Ombeline pour mettre ses desserts au frigo, Enok en profite d'ailleurs pour terminer ces petits derniers détails.

- Chocolat et fraises...! On va se régaler ! On aime tout ici, ne t'en fais pas. Enfin... tout, tant que ce n'est pas moi qui cuisine.

Je ris un peu, les enfants en profitent pour en rajouter, se faisant presque passer pour des petits martyrs tant ils mangent mal quand leur Daddy n'est pas là, se moquant allègrement de mes essais ratés, sans oublier les tartes restées trop longtemps, beaucoup trop longtemps, dans le four. "Quand c'est noir, c'est que c'est cuit", à ce qu'on dit.

Les boissons servies par mon homme, les effluves agréables s'échappent de la cuisine pour nous mettre l'eau à la bouche. On trinque et on s'assoit, les enfants en profitant pour se gaver de jus de fruit et de petits apéritifs. J'avoue me sentir un peu gêné tout d'un coup, étant pour l'instant le seul à connaître Ombeline et essayant alors d'entamer, probablement maladroitement, la conversation :

- Svein me demandait si tu aimais le vin ? Ça fait un moment qu'il m'a converti, du coup on est pas mal amateurs, j'espère que celui là te convient.

Quand on s'est connus, je n'aimais pas vraiment ça. Mon père disait que c'était parce que j'étais trop jeune, une histoire de palais et ce genre de trucs. Comme beaucoup d'autres choses, Svein m'y a initié, et même si je bois avec plus que modération (je ne tiens pas franchement l'alcool), j'ai du mal maintenant à concevoir un "vrai" repas sans vin. Au restaurant ou avec des invités, régulièrement avec mon mari lorsque nous dînons en tête-à-tête une fois les enfants couchés, mais jamais seul ou dans des repas "normaux".

- Tu voudras faire le tour de la maison ?

Il aurait peut-être fallu commencer par ça avant de s'asseoir. Voir même éviter, il y a encore quelques cartons dans les coins... et je ne suis pas certain que les chambres des enfants soient parfaitement rangées... pas que ça m'embarrasserait, c'est une maison pleine de vie, ça ne peut pas constamment ressembler à l'intérieur d'une villa de série américaine ! Mais je suis pas très doué pour commencer la conversation... Soudain, presque tout le monde éclate de rire : arrivant sans un bruit, l'un de nos chats (un énorme chat gris norvégien qui n'a pas encore perdu tous ses poils d'hiver) est arrivé de derrière le canapé pour atterrir directement sur les genoux de notre invitée.

C'est oui pour moi !

Oui oui on continue, Svein a été très pris ces derniers temps mais ça va revenir ^^

Je ne pouvais que rire et sourire.

Rire d’abord parce que dès que nous abordons le thème de la cuisine, c’est quasiment en cœur que les enfants dénoncent celle d’Ørjan. On ne peut être doué partout et je ne citerai pas ici les domaines dans lesquelles il excelle à part celui de son immense patiente envers les enfants. C’est une chose que je maitrise bien moins longtemps que lui alors là je lui tire mon chapeau parce que dès que mes limites sont atteintes, je crie…hurle.

Puis je souris envers notre charmante invitée qui semble avoir plus des dispositions pour la pâtisserie. C’est vrai que j’aurais tendance à ne cuisiner que ce j’aime manger mais depuis que les enfants sont là et selon ma présence à la maison, je me suis lancé vers plus de variété surtout pour leur faire découvrir déjà tout petits le vrai goût des légumes et des fruits même en purée ou en compote. Pas spécialement fan de la congélation, j’ai dû me faire violence pour qu’Ørjan puisse avoir des plats d’avance au lieu d’aller systématiquement vers les petits pots tout fait.

– Mon pauvre chéri, je crois que le dicton : la vérité sort de la bouche des enfants, s’applique parfaitement. Cependant tu as tellement d’autres qualités que ce n’est qu’un détail. J’étais sincère.

Cependant je ne renchérie pas sur une possible évolution de ses talents même en s’entrainant d’arrache-pied…Moi-même je n’arriverai pas à son niveau de taekwondo malgré toute la volonté du monde alors que je ne suis pas mancho sportivement. Comme quoi on ne peut réussir partout.

– Je soupçonne Ørjan de le faire exprès pour avoir le plaisir de mon voir porter un tablier en cuisine. Je me mets à rire à cette idée. Je plaisante.

Je n’allais pas rentrer dans les détails devant les enfants et notre invitée mais je ne suis pas loin de la vérité sauf que sous ce tablier il n’y a pas d’autres vêtements. Mhm bref….revenons à notre dîner.

Ce n’était pas le moment de faire la police avec les enfants qui se pressaient à dévorer les mises en bouche mais à ce rythme notre invitée n’allait même pas pouvoir en savourer.

– Hep hep les gloutons on se montre poli et on évite de tout manger sans oublier que vous n’aurez plus de place pour ces deux beaux gâteaux apportés par Ombeline. Je crois que j’ai fait mouche avec les gâteaux, ça les freine aussitôt. Je me tourne vers Ombeline …Ørjan je ne connais pas toute l’histoire mais vous travaillez dans le même service tous les deux ?

Les mises en bouche sauvées des mains gloutonnes, je les pousse vers Ombeline d’une main avant de boire une gorgée de vin.

– C’est un Pouilly Fumé je trouve qu’il se mariera bien avec notre repas et passe bien en apéro…comme ça on ne fait pas de mélange surtout si vous ne buvez qu’occasionnellement comme nous.

Ørjan avait proposé de lui faire visiter la maison, c’est parfait, ça me permettra de mettre la dernière touche en cuisine. Seulement Mani – l’un de nos chats – n’avait pas l’air d’être d’accord en venant s’installer sur les genoux de notre invitée.

– Mani… et c’est un pot de colle adorable. Le second chat de la famille ne doit pas être bien loin surtout que le poisson doit le faire saliver. Je vous laisse faire la visite avec Ørjan, je vais remettre mon tablier quelques minutes le temps que vous faites le tour du propriétaire. Je ne peux pas m’empêcher de jeter un regard amusé à Ørjan.

Je les rejoins quand ils sont passés dans notre jardin. Là je suis pris d’assaut par nos trois trolls qui bondissent en disant que ça serait formidable si leurs papas faisaient construire une piscine.

- …mhm et on la mettrait où ? Sur le toit parce que notre jardin disparaitrait…

J’appelle Ørjan à l’aide du regard.

Spoiler:

Mes talents de cuisinier font toujours leur apparition quelque part dans la conversation... Ce n'est pas de ma faute si je ne sais pas marier les saveurs comme le fait l'homme de ma vie ! C'est vrai qu'après tout, suivre une recette ce n'est pas très compliqué en soit, dans la théorie. Mais dans la pratique... il manque toujours un ingrédient, que je finis toujours par remplacer par celui qu'il ne faut pas. Ou alors un enfant ou un chat demande de l'attention à un moment fatidique et... bon, d'accord, j'arrête avec les excuses. La cuisine, ce n'est pas mon truc, c'est tout ! Et comme dit Svein, j'ai d'autres qualités. Et puis il faut bien partager les tâches. Ne pas m'occuper de la cuisine, c'est pas plus mal.

On commence l'apéro pendant que mon mari fait ses dernières finitions. C'est qu'il a le sens du détail. C'est peut-être aussi ses petites touches qui font passer ma cuisine médiocre pour quelque chose de pire, proche de la cantine d'un hôpital. C'est qu'il met la barre trop haut aussi, comment je peux rivaliser !

Enfin, au moins, même si leurs palais sont bien aiguisés pour leur âge, heureusement, les enfants restent des enfants, ce qui me permet de leur faire plaisir de temps en temps en leur ramenant une pizza ou un kebab. Et là, ils se gavent tellement de petits-fours que Svein est obligé de les rappeler à l'ordre, avant d'en revenir à la conversation.

- Non, Ombeline travaille dans l'autre aile ! Mais elle est venue l'autre fois nous aider avec un patient, tu te souviens, je t'ai raconté ?

Et quel patient...! Je ne lui ai pas vraiment donné trop de détail, il se serait inquiété, sinon... mais je suis rentré épuisé en lui disant simplement qu'un patient de l'aile psychiatrique s'était échappé dans notre service et qu'on avait galéré à le renvoyer d'où il venait. Mieux vaut éviter d'ajouter qu'au passage il nous a éventré une collègue. De la même manière que Svein non plus ne me raconte probablement pas toujours les problèmes qu'il pourrait avoir en vol, que ce soit au niveau de l'avion ou des passagers...

Pour éviter que tout disparaisse avant que nous passions à table, j'emmène ma collègue faire le tour de la maison. Ça reste une maison norvégienne classique, avec les chambres des enfants à l'étage où ils ont également un espace de jeu, un salon salle à manger au rez-de-chaussée où nous avons également un couloir menant à notre suite parentale, et un sous-sol aménagé où je m'entraîne au taekwon-do, où il y a également une chambre d'amis, et, comme toute maison norvégienne qui se respecte, un sauna où les enfants ne peuvent accéder. Le jardin est également tout ce qu'il y a de plus classique, bien que petit maintenant que nous habitons en ville. Une terrasse aménagée pour profiter de l'extérieur autant que le temps nous le permet, et... les enfants continuant d'insister pour avoir une piscine dès que Svein nous rejoint. Ils ont décidé que maintenant qu'on était dans le sud, il nous fallait absolument pouvoir nous baigner toute l'année. Je rit un peu en secouant la tête pour m'adresser aux enfants :

- On n'est pas magiciens, les enfants, on en a déjà parlé, la piscine, ce n'est pas possible. Mais c'est quand vous voulez pour la piscine municipale !

Cela dit, à force de le répéter, ils m'ont donné envie de jacuzzi. Je me tourne ensuite vers Svein pour lui demander si c'est prêt, et comme c'est le cas, j'invite Ombeline à venir passer à table. Les enfants se précipitent presque pour choisir la meilleure place, à savoir le plus proche possible de notre invitée, qui se retrouve donc tiraillée entre Svanhild et Kai, Enok ayant finalement préféré trouver sa place entre ses deux papas. À défaut d'avoir pu alterner les hommes et les femmes autour de la table, nous avons réparti les enfants et les adultes.

Le repas se déroule tranquillement, la conversation entrecoupée de réflexions d'enfants tantôt pertinente, tantôt mignonnes de simplicité, avant qu'ils ne décident que, le plat principal s'éternisant un peu trop pour eux, ils préfèrent quitter la table pour aller jouer. Je souris en nous resservant tous les trois de vin.

- Quel calme tout d'un coup ! En tout cas, tu as du succès avec eux, Ombeline, tu sais vraiment y faire avec les enfants ! Tu as travaillé en pédiatrie ?

Si ce n'était pas le cas, je la voyais vraiment bien dans ce domaine !

Des journées difficiles, on en a à l'hôpital. C'est pas étonnant. Depuis que je suis papa, j'ai de plus en plus de mal à supporter le service pédiatrie, par exemple. C'est un des rares services, avec la psychiatrie, que je n'ai pas fait. Enfin, plus fait, pour être exact, côté pédiatrie. Juste après mes études, en tant que fraîchement diplômé, et même un peu dans les années après, mais c'est tout. À partir du moment où ça m'a touché de trop près, je n'ai plus voulu. Pour la psychiatrie, c'est autre chose. Je ne suis juste pas fait pour ça.

- Ça c'est certain ! Ils nous aident surtout à relativiser, à faire un mur entre le travail et la maison... et ça, ça n'a pas de prix.

Dans notre boulot, il faut savoir compartimenter, sinon, on ne s'en sort pas. On finirait tous dépressif, ou pire. Certains développent un humour noir très prononcé, d'autres ont des loisirs qui les aide à tout mettre de côté. Moi, c'est un peu les deux. J'ai ma famille, et mon art martial. Je crois que sans ça, j'aurai pété les plombs depuis bien longtemps ! Entre les horaires et les horreurs qu'on voit... La pâtisserie, c'est pas mal non plus.

- Oh, c'est toi, vraiment ? C'est super sympa, mais si je prends quelques kilos, c'est à toi que Svein doit en vouloir, alors ? Tu en fais vraiment beaucoup, mais je dois dire qu'ils sont trop bons... tu auras de quoi te reconvertir le jour où ça deviendra trop difficile à l'hôpital !

On le sait tous. Dans un avenir plus ou moins lointain, on va craquer. L'âge qui fera que physiquement on se fatigue trop, un dossier trop difficile à encaisser, un surplus de tout ça... si ce métier est une vocation et que la majorité d'entre nous le fera jusqu'à la retraite, notre mental n'en sortira pas indemne. Je le sais maintenant, avec l'expérience et la quarantaine qui va pointer le bout de son nez plus tôt que je ne l'imagine... même si j'irai jusqu'à l'âge de la retraite, je devrais, un jour ou l'autre, passer au service de jour, voir dans un service plus calme ou moins éprouvant mentalement. Et si un jour je craque avant... je ne sais rien faire d'autre !

La fin du repas approchait, les enfants étaient de nouveau sortis de table, et Svein afficha un grand sourire :

- Un petit digestif pour conclure tout ça ?

Ça fait du bien, de temps en temps, de passer une soirée simple, comme ça. Une bonne amie, la famille, un bon repas... Je n'ai jamais été du genre à vivre dangereusement. Bien-sûr, j'aime voyager, découvrir, faire du sport... mais je ne pense pas être un grand aventurier. Je me contente des plaisirs simples, comme celui-ci. Parfois, Svein se moque de moi, me trouvant trop terre à terre ou pantouflard. Ce dernier terme ne me correspond pas tellement, mais comparé à mon mari... disons qu'on s'équilibre. Il vend à la famille le rêve dont on a besoin, et je nous ramène à la réalité lorsque ça devient nécessaire. Pour cette soirée, Ombeline incarnait la petite dose de fraîcheur, et les enfants la goutte de folie. J'étais vraiment bien.

Et un peu alcoolisé aussi, déjà, lorsque Svein nous servit un petit digestif. Pas de quoi ramper jusqu'au lit, je pourrais même sans doute raccompagner Ombeline devant chez elle (à pieds, bien entendu!), mais disons que j'allais bien dormir, et pas seulement grâce à cette soirée de détente absolue.

On continuait de discuter tranquillement à table, le temps passait. Sagement, mais plus tard que d'habitude, les enfants étaient partis se mettre en pyjama et se brosser les dents, avant de revenir souhaiter une bonne soirée à notre invitée. Je montais d'abord les border, laissant Svein et Ombeline seuls quelques minutes. On pouvait les entendre discuter, mais aucune parole compréhensible n'atteignait les chambres des enfants, ce qui n'était pas plus mal. Je redescendais après une histoire, et reprenais place dans le salon. Mon mari monta alors à son tour embrasser rapidement les enfants, et je souris gentiment à Ombeline :

- Tu es officiellement ma première collègue d'Oslo à rencontrer ma famille ! Si un jour tu as besoin, n'hésites pas à frapper à la porte, même si tu sais que je travaille.

Je me relevais doucement, ayant oublié de profiter de ça au moment où je suis allé coucher les enfants :

- Je vais me servir un verre d'eau, tu veux quelque chose ?

Toujours boire au moins autant d'eau que d'alcool ! On en sera pas moins bourré, mais au moins, on ne subira pas les mauvais sorts de la déshydratation.

La soirée arrivait doucement à sa fin. Après avoir débarrassé la table et tranquillement terminé la soirée dans le salon, nous finissions par un verre d'eau avant qu'Ombeline décide de prendre congé. Le temps passe si vite en bonne compagnie ! Mais bon, elle avait raison : les enfants allaient venir sauter dans le lit avant qu'on ouvre l'œil, c'était certain !

Je raccompagnais notre invitée sur quelques mètres dans la rue avant de la saluer de la main et de rentrer à la maison. On finissait de ranger complètement la cuisine, préparant du même temps la table pour le petit-déjeuner, avant d'aller s'effondrer au lit. Je m'endormais sereinement, contant de pouvoir enfin commencer à développer une vie sociale à Oslo... même si c'est avec une collègue !