Et on y retourne ! (Leiv)

Mais à quoi je pensais, exactement, quand j'ai "invité" un nain à venir bosser dans ma cave...? Bon, d'accord, c'est pas exactement comme ça que ça s'est passé. C'était plutôt "hey les mecs, on n'a plus de taf et moi j'ai une nouvelle baraque sur trois étages, venez on fait un truc!" et vu les activités qu'on envisageait, le sous-sol s'est tout désigné de lui-même.

Sous-sol.

Nain.

Ouais, on a gagné en surface, quoi. Je le laissais prononcer son discours, sourcils haussés, mains sur les hanches, hochant la tête de temps à autres, soupirant parfois. Jusqu'à ce qu'il me mette une arme dans les mains... Et pas n'importe quel engin. Ça pesait un âne mort, mais je lui faisais confiance. Et puis après tout, y'a pas de raison que je m'en serve, hein ? C'est juste "au cas où", hein ? Je suis le geek de service, moi. C'est mon rôle dans la boîte. Les armes, je les manipule qu'en jeux vidéos.

Je le laissais continuer encore un long moment, attentif mais silencieux. D'abord parce qu'interrompre un nain dans ces conditions, c'est déconseillé. Ça les met de mauvaise humeur. Déjà, quand on croise un nain sans le savoir, on croit qu'il est de mauvaise humeur alors qu'il est de bonne humeur. Imaginez ce que ça donne quand ce genre de bestiau est vraiment de mauvaise humeur... Bref, ça c'était la première raison. La seconde, c'était que tout ce qu'il déblatérait n'avait rien d'inutile, c'était même important. En tant que gérant officiel des stocks (bon, O.K., je leur ai plus ou moins donné carte blanche sur l'armement...), fallait bien que je sache par où on commençait, et surtout, comment ça allait s'organiser. Le nain avait de l'expérience, ça se voyait. Et tant mieux. C'est pour ça que c'est mon associé, non ?

On était interrompu par un nouveau contrat, de type non-officiel. Le côté officiel décollait un peu, assez pour justifier le matériel neuf dernier cri et les locaux refaits à neuf (sans la partie tunnel évidemment) en cas de contrôle inopiné. On faisait surtout dans le simple, le voisinage et l'installation d'antivirus pour mémé, mais un gros client nous avait officiellement rapporté argent et petite notoriété. Ma fierté personnelle, cette galerie d'art.

Avec le passé de chacun de nous trois, on avait pas mal à faire côté non-officiel. Bien plus que je ne l'aurai pensé, surtout au départ. Ce qui fait que bien plus de fois que je ne l'aurai envisagé, je me retrouvais sur le terrain. Jamais rien de trop difficile non plus. Parce que là, ce serait du suicide. Mais c'était comme si le nain s'était mis en tête de faire de moi un soldat... Quand le boulot le nécessitait, je ne rechignais pas forcément. Pire : j'y prenais assez goût. N'empêche que. Je suis bien dans mes bidouillages avec mon chat sur les genoux, moi.

Ça faisait du bien de s'éloigner un peu de la ville aussi, ceci dit. Une église un peu paumée, un cureton un peu chelou... un suceur de sang qui a un peu trop profité de sa traversée de la Norvège en solitaire, apparemment. Le commanditaire devait en avoir marre de voir le vampire se faire muter de paroisse en paroisse et a décidé de prendre des mesures. Soit. C'est pas parce que mon grand père se prend pour un créateur que je vais avoir des remords à faire exploser une église. Je ne regrette qu'une seule chose : ne pas y voir sa tronche, au pépé, au moment où j'appuie sur le bouton. Et en plus, j'ai pas d'aile qu'il pourrait m'arracher pour se venger. Prends ça dans ta tronche, granps.

Quand le nain redescendait de sa montagne (tiens... je pensais pas avoir à dire ça un jour...) je fronçais les sourcils, étonné par ses questions-réflexions à propos de ma famille.

- Mes oncles et tantes, tu veux dire ? Ils sont tous tarés de ce côté-là, cherche pas.

Cela dit, j'en connais pas un seul. Enfin, si, mais des rares, et puis, tout ça, moi, ce que j'en dis... Ils se sont peut-être créer les uns les autres, n'empêche que mon père à moi, qui m'a fait moi (et c'est déjà pas mal, vous avez vu le chef d'oeuvre ? Je suis charmant!!), il en fait pas tout un patacaisse comme quoi c'est un type trop puissant parce qu'il a eu un rejeton.

- Ça doit être le sang "divin", j'sais pas à base de quoi c'est, mais ça a l'air assez moyen pour la santé mentale.

Je le laissais ensuite exposer le plan, hochant la tête en signe d'acceptation, avant d'éclater de rire.

- Vraiment ? C'est à moi que tu demandes si je peux tenir seul cinq minutes ? Fais-gaffe quand-même, y'a une rivière par où tu passes, ça pourrait être dangereux... tu pourrais te mouiller.

À ces mots, je décollais mes fesses de la voiture. Sans même avoir besoin de mettre la main à la poche, un "bip bip" nous indique la fermeture du véhicule, et je pars tranquillement en direction de l'église.

Vraiment tranquillement. Je vais jouer les touristes, voilà mon plan. J'avance le nez en l'air, faisant mine de profiter du paysage, pas pressé. Je m'attarde autour du cimetière, déchiffrant les noms sur les pierres les plus tordues ou les plus anciennes. Et ça me permet dans le même temps de me trouver une couverture. Petit étudiant en histoire intéressé par les familles importantes du patelin, tiens. Quoi de plus normal que de demander des renseignements à un homme d'église et à ses précieuses archives !

J'entre enfin dans la bâtisse, toujours en touriste, admirant la porte qui bientôt ne sera plus, tout comme ces statues de saints. Mes pas résonnent, j'avance dans l'allée principale. Je tente la marche nuptiale dans ma tête, mais étant bien plus geek que mélomane, je continue mon avancée sur l'air de la marche impériale. Après tout, on m'appelle bien Darth Leiv.

Le curé fait alors son entrée, qui n'a rien de fracassante, mais tout de même, et j'affiche mon plus grand sourire de prince charmant. Merci maman.

- Bonjour !

Ah, la belle voix enjouée du petit étudiant passionné !

- Vous êtes le curé de cette paroisse ?

Question rhétorique, qui me permet d'avancer un peu plus vers lui, toujours avec mon air innocent.

- Permettez-moi de me présenter, Thorstein Hallvard, je vous dérange pas ?

Il n'a pas l'air méfiant, mais il n'a pas l'air super dupe non plus. Je lui expose alors ma petite histoire toute préparée, le temps de... gagner du temps, surtout. Ce qui me permets de peaufiner quelques détails, on s'y croirait presque. La cible semble convaincue de mes arguments, et commence à me poser des questions. Rien qui ne m'empêche de répondre, en tout cas. J'ai rien d'un Thor déguisé en marié, mais c'est tout aussi efficace.

Ça marche tout aussi bien, n'empêche que le petit Dracula, là, il commence à se rendre compte que le petit étudiant que j'ai l'air, il est tout seul dans sa campagne, et que du sang frais qui se pointe volontairement comme ça, ça n'arrive pas tous les jours.

Magne-toi, le nain.

Le nain commençait à se faire désirer. J'aurai bien commencé à m'occuper du curé tout seul, mais je suis clairement pas fait pour le terrain. Non mais qu'est-ce qui m'a pris de croire que je pourrais rester peinard devant mon PC comme avant, en faisant tourner une boîte spécialisée avec seulement nous trois ? J'ai bien essayé d'attirer l'attention du suceur de sang en faisant tomber quelques trucs de son autel, mais après s'être brièvement retourné, il m'a à nouveau regardé, avec un sourire... vraiment malaisant. Comme s'il avait deviné que ce geste, malgré la distance, venait de moi, et que cela lui donnait encore plus soif. Et vu sa boisson de prédilection, c'était carrément flippant.

Malgré tout, j'essayais de garder ma couverture pour surtout ne pas lui faire monter sa garde. Je ne lésinais pas non plus sur le fait que je sois mal à l'aise, accentuant un peu plus les choses, insistant sur mon sourire ravageur charmeur. Seulement j'avais de plus en plus le sentiment de devenir un apéritif aux yeux de mon interlocuteur, qui se rapprochait dangereusement.

Et puis, ouf, le nain est arrivé. J'ai continué de jouer les petits étudiants innocents, jusqu'à ce que Master Oakenshield trouve une ouverture, me permettant enfin de m'éloigner de la cible, et de faire état de mon impatience :

- Putain, t'as le sens du timing ! Un peu plus et mes canines poussaient !

Je sais que j'aime bien rester dans mon sous-sol devant mes écrans, mais quand-même, de là à devenir vraiment une bestiole des grottes, non merci. Je tendais les mains pour que mon collègue m'envoie quelques charges à placer aux quatre coins de la bâtisse.

- Aller, fais péter tout ça qu'on rentre. J'ai besoin de prendre une douche.

Je l'examinais de la tête aux pieds, et c'est là que je remarquais les siens, ainsi que les petites flaques qui marquaient son parcours à la manière du petit poucet. J'affichais un petit sourire moqueur :

- Je t'avais dit de faire gaffe à la rivière.

On sortait enfin de l'église, à la manière des héros des films et des jeux vidéos, avançant impassibles et sans se retourner alors que tout s'embrase derrière nous. Bon, ça c'était surtout dans ma tête. En vrai, on a quand-même attendu d'être dans la voiture pour lancer le détonateur, histoire de pas être soufflés par l'explosion, ni se rendre sourd. C'est moins pratique après, pour la communication.