Mikhail Vorobyev | Fiche de liens

VOTRE HISTOIRE

Il y a fort longtemps dans les plaines qui forment actuellement la Carélie, au sein du territoire de la Fédération de Russie, un œuf de dragon fut pondu par une dragonne qui se fit abattre quelques jours plus tard. Les guerriers récupérèrent cet œuf qu’ils gardèrent avec eux en guise de trophée. Après tout, aucune chance que dans le froid de l’hiver russe, une quelconque chose ne survive là-dedans.
A leur grand étonnement, après presque un an, un petit dragon noir parsemé de rouge sortit de l’œuf. Ils le nommèrent « Boryslav », qui signifie « guerrier glorieux » ou bien « celui qui se bat pour la gloire ». Car en effet, cette tribu comptait bien se servir de leur reptile géant pour élargir son influence, son territoire et sa puissance. Le jeune dragon avait vécu l’horreur, on voulait lui insuffler la haine de l’homme pour faire de lui une machine à tuer qui n’hésiterait pas à se jeter sur l’adversaire. Chaque jour on le brimait d’insultes, mais la violence était aussi physique. Le dragon était frappé, à coups de pied, de poing. On le privait de nourriture presque une semaine durant.

Ce scénario s’empirait au fil des années que « Boryslav » grandissait. Le dragon devenait de plus en plus imposant, et là plus personne n’osait le frapper à mains nues à moins de l’avoir attaché de sorte qu’absolument rien ne puisse bouger. Les coups de fouet et d’épée étaient monnaie courante. C’était surtout dans son ventre que l’on s’acharnait, ces hommes avaient découvert la légende qui disait qu’il s’agissait du point le plus sensible et qui pouvait leur empêcher de cracher leurs flammes. On lui apprenait à tuer divers animaux, et il prenait un malin plaisir à déchirer la chair entre ses crocs et griffes, c’était ce qu’on lui avait appris à faire et on le récompensait pour cela.
Une fois qu’il était assez gros, c’est là qu’on lui offrait les prisonniers de guerre en guise de repas. Leur châtiment était terrible, le dragon, là, ne tuait pas pour chasser, il tuait par plaisir, par vengeance. Enfin, il faisait ce qu’on voulait qu’il fasse, bien que pas encore sur le champ de bataille. Entendre les cris de terreur de ces gens qui se retrouvaient face au monstre qui ôterait leur vie, sentir leurs os se briser ou se disloquer sous son poids ou la pression de sa mâchoire, la facilité avec laquelle ses crocs et griffes acérés se plantaient dans leur chair et la déchirait… enfin il avait sa vengeance sur l’humanité qui pendant quinze ans lui faisait vivre un enfer.
Le jour de ses dix-huit années de vie sur cette maudite terre, le clan revenait, défait d’une guerre. Ils ne l’utilisaient toujours pas, le chef voulait attendre qu’il soit suffisamment gros pouvoir le monter et triompher glorieusement de n’importe qui se dresserait contre eux. Cet homme, fou de rage, entreprit de s’acharner sur son dragon, qu’il ne supportait plus d’attendre. Deux heures de violence pour qu’enfin il commette une erreur. Il venait de détacher son précieux reptile qui se libéra de ses liens et arracher la tête de son tortionnaire. Le village entier finit à feu et à sang.

Il avait enfin sa revanche. Il était libre. Et plus personne ne lui ferait quoique ce soit.

Sur les ruines du village qui finissait de brûler, il poussa un rugissement et s’effondra. A son réveil, son apparence était changée. Il était maintenant un humain de presque vingt ans. Le voilà devenu ce qu’il haïssait le plus au monde, mais il prit ceci comme une chance. Il ne laisserait plus aucun humain lui faire quoique ce soit, et quitte à les mettre à genoux devant lui, il le ferait.

Il errait pendant des années. La rumeur qu’une tribu possédait un monstre géant, et que celui-ci les aurait exterminés finit par disparaître et sombrer dans la légende. On s’accordait à dire qu’ils auraient été attaqués par une autre tribu qui aurait tout mis à feu et à sang.

Les siècles passant, et en l’an de grâce 1705, le dragon tomba sur un homme en exil. C’était un vieux-croyant, un religieux russe qui partait en exil à la suite des réformes religieuses de l’Église Orthodoxe.
Quel était son nom, on lui demanda. Qu’il n’en avait pas, répondit-il. Voilà des siècles qu’il avait rejeté celui qu’on lui avait donné.

- Laisse-moi ’t’en donner un, dans ce cas. Tu seras « Mikhail », ce nom signifie « qui est comme Dieu ».

Et après cela, l’homme repartit. Jamais Mikhail ne sut la raison pour laquelle on le baptisa ainsi, mais il fit de ce nom le sien.

Et à nouveau les siècles passèrent, il avait bien changé depuis, il s’était ouvert aux Hommes, il apprenait leur façon de vivre qui changeait tellement au fil des années. Il voyageait à travers l’Europe, apprenant leurs langues. Depuis le temps, il avait vu à quel point l’Homme pouvait être horrible envers ses semblables, était-ce inné chez eux, d’être aussi cruel envers tout ce qui vivait ? Il n’avait pas la réponse à sa question, même si les guerres du vingtième siècle semblaient lui donner un avis.

Désormais, au vingt-et-unième siècle, Mikhail vivait toujours au milieu des hommes. Il les haïssait toujours, peut-être un peu moins.