Retrouvailles autour d'une musique d'un temps passé (Ft. Nils Hróaldrsson)

L'après-midi était déjà bien entamé, et le soleil présent dans la ville lui donnait des airs de vacances, même dans ce quartier des affaires où la plupart des passants étaient des hommes et femmes au travail. Oskar aussi était là pour le travail... en quelque sorte. Quoi de mieux que le quartier des affaires pour se poster observer les allers et venues de chacun ? Il finirait bien par en passer un dont les affaires un peu louches feraient le bonheur d'Oskar... Indic à ses heures perdues.

Qui aurait pu soupçonner celui qui paraissait n'être qu'un jeune garçon, visiblement en vacances puisqu'en dehors d'un établissement scolaire, habillé bien sagement comme il l'était. Un jean simple, un t-shirt qui n'avait rien pour arrêter le regard... il se fondait dans le paysage. S'il n'y avait pas eu cet éternel béret vissé sur sa tête blonde d'enfant sage, l'illusion aurait été parfaite. Mais Oskar avait décidé de superposer ses talents, et en plus d'espionner allégrement les environs, il était venu avec sa guitare jouer quelques morceaux sur son banc, à l'ombre d'un arbre.

Retirant son béret, le posant à ses pieds pour y récupérer quelques pièces, le jeune homme accorda l'instrument tout en poursuivant sa garde des alentours, puis égrena quelques notes. Il faisait parti de ces gens qui ont le rythme dans la peau, et un indéniable talent musical... il avait même été chanteur et musicien dans d'autres vies, il y a bien longtemps, disparaissant des scènes et changeant d'identité dès que sa jeunesse éternelle commençait à faire plus parler de lui que de ses morceaux.

Engageant machinalement une musique, Oskar se reprit au jeu de la musique, enchainant morceaux après morceaux devant un public mouvant, qui venait écouter quelques titres avant de repartir en laissant parfois une pièce à ce musicien de passage, qui peut-être comptait faire fortune dans ce Quartier des Affaires.

Nils était en repos ce jour-là. Enfin en repos boulot. Il se baladait dans le centre des affaires, et regardait distraitement les bâtiments et ce qui l'entourait. L'air de rien, il cherchait une faiblesse, quelque chose à exploiter. Un angle mort de caméra par-ci, une porte non surveillée par-là, tout ce qui pouvait être une menace pour la sécurité d'une entreprise. Il ne restait plus qu'à faire le point avec Leiv en rentrant, et à se renseigner sur la valeur de leur compte en banque. Une multinationale s'est fait voler en plein jour ? Quel dommage. Attendez, je connais justement une petite entreprise de sécurité avec une excellente réputation, ils vont vous refaire tout votre système si bien que vous n'allez pas y croire.

Il écoutait sans faire attention la musique que jouait un garçon un peu plus loin. Pas mauvais comme guitariste, Il avait du talent pour son âge. Au bout d'un moment, le vieux barbu finissait par se rendre compte qu'un de ses pieds battait la mesure. Il tendait l'oreille, et reconnaissait immédiatement une chanson des années 50 si chère à son cœur. Curieux, il se rapprochait du gamin et écoutait jusqu'au bout.
Le public se dispersait lorsque les notes de musique s'arrêtaient, et le nain en profitait pour alourdir le béret de quelques pièces.

- Ça fait longtemps que je n'ai pas entendu une telle reprise. Toutes les autres imitations manquent de quelque chose. L'âme de la chanson en quelque sorte. À croire que tu étais là quand elle est sortie pour la première fois.

Il détallait le gamin du regard. Il avait dû entendre le morceau sur le tourne-disque de son arrière-grand-père, et il était juste doué avec la musique. Impossible qu'il l'ait entendu à l'époque, cette musique avait au moins sept fois son âge.

Le jeune garçon avait enchainé plusieurs titres, laissant le public de passage l'entourer le temps d'une mélodie. Certains reprenaient ensuite leur route, d'autres s'attardaient, dans un groupe qui grossissait alors avec de nouveaux venus, curieux d'entendre les morceaux du guitariste.
Après un certain temps, et alors que son béret avait récolté plusieurs pièces, le jeune homme avait achevé sa prestation par une musique qu'il affectionnait particulièrement, se remémorant des souvenirs des années cinquante, lorsque l'album avait conquis le public de l'époque.

Oskar ne fit pas plus attention que cela à l'homme non loin de lui. Il lui avait semblé au début ne suivre que d'une oreille distraite sa prestation musicale, et puis au fur et à mesure son intérêt s'était plus ou moins développé. Lorsqu'il arriva à hauteur du jeune garçon qui rangeait ses affaires, en déposant quelques pièces dans le béret, Oskar l'avait remercié nonchalamment.
Puis l'homme avait prononcé quelques paroles et le garçon s'était figé... Gardant la tête baissée sur sa guitare, ses mèches de cheveux claires dissimulant en partie son visage, Oskar chercha à éviter le regard de l'homme, ne voulant pas attirer l'attention sur lui. Cela n'avait aucun sens, qu'il puisse avoir été là à l'époque de la sortie de la musique... et pourtant, il n'y avait rien de plus vrai. Oskar était cet enfant éternel qui traversait les époques sans vieillir, et il préférait rester discret à ce sujet.

- Merci M'sieur... C'est que je l'ai souvent entendu, M'sieur, et je l'aime beaucoup, alors...
Oskar n'avait pas fini sa phrase, se contentant d'un haussement d'épaules faussement désintéressé. Il avait bien été obligé de répondre à l'homme, l'éviter complétement aurait attiré l'attention, mais en même temps il n'avait pas vraiment sur quoi répondre, puisqu'il ne pouvait admettre avoir été là aux premières heures de cette musique.

Glissant les pièces récoltées dans sa poche, il calcula rapidement... non pas les pièces, mais les années. Cinquante ans que cette chanson était sortie, si l'homme qui venait de l'aborder en connaissait la version originale, il devrait alors avoir plus de quatre-vingt ans pour pouvoir prétendre s'en rappeler, non ? Et pourtant, au faible coup d'œil qu'Oskar lui avait porté, il n'avait pas du tout eu cette impression de s'adresser à un vieillard.
Redressant finalement la tête vers l'inconnu, le jeune garçon fronça les sourcils d'un air soupçonneux.
- Et vous, vous la connaissez d'où ?

Il avait du style ce gosse. Du style comme on en avait plus. A croire qu'il était plus vieux qu'il en avait l'air, ce qui n'était évidement pas possible. Personne ne peut vivre plus de deux cent ans… N'est-ce pas ?

La prestation du garçon avait ramené Nils à une époque où tout était plus simple. Enfin d'après ses souvenirs, car les choses étaient aussi compliquées avant ; mais on allait moins vite et on avait de l'espoir pour le futur…
Par les Ancêtres, voilà qu'il se mettait à radoter. Il avait vraiment franchi un cap depuis peu, et ressemblait de plus en plus au vieux Hróaldr.

Il souriait au gamin, et lui répondait avec la même explication que le jeune avait utilisé.

- Je l'ai souvent entendu moi aussi. Après tout, c'est un classique.

Ce n'est pas qu'il se doutait qu'il avait un vampire face à lui. Il était nain, pas devin. Mais il s'amusait de la situation et voulait voir jusqu'où il pouvait aller.

Un sourire traversa le visage du garçon. Si ses réponses à lui étaient passe-partout, celui qui lui faisait face pouvait se vanter d'utiliser le même mode opératoire... Achevant de ramasser son matériel, passant sa guitare en bandoulière dans son dos à peine plus épais que le corps de l'instrument, Oskar vissa d'un geste machinal son béret sur sa tête, couvrant ses mèches blondes et ses yeux rieurs.

- Un classiqu' oui, pour sûr... Alors vous vous y connaissez bien en musiqu' M'sieur ? Même de celles d'avant notre époqu' ?

Le ton légèrement badin et enjoué de l'enfant pouvait faire passer n'importe quelle phrase pour une discussion innocente, alors même qu'il y distillait quelques sous-entendus ironiques. Notre époque... mais quelle pouvait-elle bien être, cette fameuse époque ?

Il gardait un ton enjoué alors même qu'il rangeait ses affaires. Décidément, ce garçon là était plutôt d'un naturel joyeux. Il n'avait donc aucun gène de nain. Absolument pas une trace.

- Oui, je m'y connais un peu. Je n'ai jamais vraiment poussé la chansonnette, mais à l'époque on faisait plus attention à ce genre de choses.

Il regardait distraitement passer les gens trop pressés. On était en fin d'après-midi, et pourtant certains semblaient manquer de temps et besognaient en vitesse, comme autant de lapins blancs à qui l'on aurait donné une montre.
Nils reportait son attention sur le blondinet à ses côtés, un sourire naissant au coin des lèvres.

- N'est-ce pas, p'tiot ?

Il avait décidé de suivre son instinct et de jouer franc jeu avec le guitariste. Certains détails dérangeaient Nils, et il prenait le risque de se lancer même s'il n'était pas encore certain de ce qu'il avait en face de lui. La musique était trop parfaite, les mouvements trop fluides trahissaient une expérience bien trop importante pour un enfant ; ses réponses évasives et ses allusions à demi-mot étaient autant de coïncidences qui passaient inaperçu dans la conversation, mais qui faisait friser la barbe du vieux nain.

- Tu veux te rappeler le bon vieux temps autour d'un verre ? C'est ma tournée.

Il se levait du banc en affichant son visage le plus honnête au gamin. Ce n'était pas souvent que Nils trouvait quelqu'un qui voulait bien ressasser le passer avec lui. Mais d'ailleurs… Est-ce que le jeune avait le droit de picoler ?