Une envie de voir le monde autrement (Ft. Eliaz Wicksbury)

À force d'explorations et de balades au sein des couloirs, j'avais réussi à trouver comment et surtout "quand", je pouvais grimper les étages pour aller jusqu'au toit de l'établissement. Je ne devais pas me faire pincer par qui que ce soit, car je me doutes bien que je n'ai pas le droit d'être là. Mais bon, en réalité, ça n'avait pas été si compliqué que ça de réussir à venir jusqu'ici. J'ai profité du changement de garde des infirmiers, et comme je suis dans les premières que l'on vient voir à ce moment-là, je suis partie juste après, quand tout le monde était occupé avec quelqu'un d'autre, dans leurs chambres.

Me voilà donc ici, assise au bord du vide, les jambes dans celui-ci. Je les bouge doucement, observant le sol tout en bas. À la fois si près et si loin. Je relève les yeux et j'observe les étoiles quelques instants. Le soleil me manque, sa chaleur aussi. Je soupire tristement. Même si je commence à me faire de plus en plus à cette vie, il y a des choses que je n'oublierais jamais et qui me feront toujours souffrir en me manquant. Même si je m'habitue ... Je ne retrouverais jamais une vie normale, malheureusement, j'en ai la certitude, même s'il y a des façons d'adapter ma vie ... Ça ne sera jamais tout à fait pareil. Le simple fait de devoir vivre la nuit le prouve ...

Il est tard, c’est la fin de journée. Ma journée au sein de l’hôpital est terminée, heureusement je ne travaille pas au club ce soir, sinon je serais déjà en retard. Je range donc mes affaires, bien tranquillement. Je prends mon temps, personne ne m’attend, alors je prends le temps d’écouter ici et là ce qu’il se dit dans ce lieu aussi plein de vie que de mort. Les hôpitaux ont toujours été un endroit fascinant et celui-ci comporte, en plus, du surnaturel ce qui le rend encore plus spécial. Je sors finalement des vestiaires, mon sac sous le bras lorsque je vois une ombre, au loin, filer dans un chemin qui n’est pas le sien. Artemis ? Fronçant légèrement les sourcils, je me demande ce qu’elle va faire en direction du toit ? Un suicide ?! Sait-elle que ça ne marchera pas en tant que vampire ? Sauf si elle attend le lever du jour… Je me dépêche donc de la rejoindre et m’approche doucement.

-Que fais-tu là… ?

Je suis perdue dans mes pensées, je pense à tous les changements qu'il peut y avoir dans ma vie avec cette nouvelle vie. Je suis tranquillement assise, à regarder l'horizon. Je ne m'attendais pas à ce que quelqu'un arrive alors j'ai coupé toutes les informations extérieures d'arriver jusqu'à mes oreilles. Alors quand j'entends une voix, je sursaute, heureusement j'ai le réflexe de bien me maintenir et je ne tombe pas du toit.

- Oula ! Eliaz ! Tu m'as fais peur !

Je lâche un petit rire nerveux, à la fois d'avoir été surprise que parce que je sais que je ne suis pas censée être ici.

- Mais euh sinon rien, je ne fais rien ... Je voulais juste venir ... profiter de la vue !

Je n’ai pas vraiment réfléchi. De toute façon si elle aurait eu peur au point de tomber du toit, je pense que j’aurais été capable de sauter pour essayer d’amortir la chute, même si elle aurait fait très mal. Je suis plus âgé alors je me dis que j’y serais certainement mieux arrivé qu’elle. Je n'en sais rien. Je n’ai pas réfléchi, comme je le disais. Elle sursaute, mais se maintient avant de se tourner vers moi.

-C’est plutôt moi qui devrais te dire ça, que fais-tu ici ?

Je me rapproche alors lentement, très doucement d’elle, je ne voudrais pas qu’elle fasse de faux mouvement ou qu’elle décide finalement de sauté.

-Tu es sûr… ?

Après tout il n’y a pas si longtemps encore elle avait de grosse tendance suicidaire alors… Avec elle je restais sur mes gardes !

Je sais que je ne devrais pas être là et que je n'en ai pas le droit au fond, mais j'avais vu une ouverture et je me suis dis que ça me ferait du bien. Que ça me ferait voir peut-être même l'hôpital différemment, au fond ! Mais je ne m'attendais pas du tout à ce qu'Eliaz débarque et me fasse du coup sursauter. Je ne m'attendais pas à avoir de compte à rendre non plus alors ... Je n'ai préparé aucune information à donner, je ne vais pouvoir qu'improviser ou dire la vérité. Au final, la vérité n'a rien de mal pour une fois.

- Je t'ai fais peur ?

J'en suis tellement surprise que je ne retiens que ça de sa première phrase. Je lui explique alors que j'avais simplement envie de profiter de la vue et il me demande si je suis sure, alors je hoche la tête.

- Oui, je me suis dis que ça pourrait me faire du bien de prendre une bouffée d'air frais ailleurs que dans le parc de l'hôpital, de voir d'autres angles, de voir un peu plus loin aussi ! Je vis dans le même 500 mètre depuis des années, mis à part de très rares sorties ...

Je me mords un peu la lèvre et je repose mon regard sur l'horizon, affichant un petit sourire triste.

- J'aimerais beaucoup revoir le couché ou le levé du soleil, mais ça ce n'est plus possible ...

Artemis me demande, comme un défi, en tout cas c’est comme ça que je le prends, si elle m’a fait peur. Mais que croit-elle ? Vraiment ? Bien sûr, j’ai peur pour elle, je tiens à elle… Elle est tout ce qui me reste ici… Tout le monde est mort ou partie : mon fils, sa mère, mon père, ma mère, Crystal, Ombeline… Tout le monde.

-Bien évidemment Artemis… Je tiens à toi.

Je l’avoue finalement. Je ne lui dis pas souvent, je lui montre la plupart sur temps, mais il est peut-être important ce soir de lui dire, qu’elle le comprenne et qu’elle ne saute pas, même si elle a peut de chance de mourir ainsi, c’est un vampire à présent, mais quand même, elle risque de se faire très mal et ce sera pire que tout. Finalement je comprends qu’il n’en ait rien de tout ça, elle semble juste triste vis-à-vis du soleil… Alors je trouve une solution.

-En vidéo… ?

Je n'avais pas eu l'intention de sauter. Non, vraiment. Je voulais simplement pouvoir voir le monde différemment, comme je le dis bien Eliaz. Pourtant, son ton et sa présence ici me font lui poser une question. Je sais qu'il tient à moi, mais là de l'entendre me le dire, alors qu’il a certainement pensé que je voulais en finir, ça me touche. Je souris alors doucement, l'émotion pouvant certainement se lire sur mon visage et je me rapproche alors un peu de lui.

- Moi aussi je tiens à toi Eliaz … Beaucoup, mais ne t'en fais pas, je me sens mieux maintenant … Je n’étais vraiment pas ici dans le but …

Je laisse ma phrase en suspens, n'ayant pas envie de prononcer des mots d’un quelconque plan douloureux, même si à un moment j’y avais bel et bien pensé. Mais les choses avaient évoluées, j'avais évoluée, et mon état d'esprit n'était plus le même qu'il avait été il y a quelques années maintenant. Je me confie alors à Eliaz à propos du soleil qui me manque. Il me parle alors de vidéo et je trouve ça vraiment mignon … Je vois bien qu'il essaie de trouver une solution pour que j'aille mieux. Je souris alors un peu de nouveau et je fais un petit mouvement positif de la tête.

- Ça ne serait pas tout à fait pareil, mais ça sera toujours mieux que rien … Tu as de la chance toi, au final, d'être né comme ça … Tu n'as pas les désavantages à ce niveau-là … Je n'aurais jamais cru dire une chose pareille, mais dans un sens je t'envie !

Je ris alors un peu. En effet, je n'aurais jamais cru envier un jour un vampire né comme Eliaz, alors que j'ai autant de mal à gérer ma propre condition, mais si j'étais née comme ça, les choses auraient été plus simples, non ? En tout cas, je ne regrettais pas, dans un sens, que ce soit Eliaz qui m'ait transformée. Une autre personne n'aurait certainement pas autant pris soin de moi, bien que je lui en ai énormément voulu au départ.

J’ai vraiment eu peur sur le coup qu’elle fasse une bêtise. Bon elle ne pourrait pas réellement mourir comme ça, a moins qu’elle s’écrase sur un arbre en dessous et qu’une branche, de bois du coup, traverse son coeur, sinon elle se ferait juste très mal. Finalement elle se rapproche de moi, me disant qu’elle tient aussi à moi et me rassurant sur le fait qu’elle ne ferait plus ça. Je souris alors et caresse un peu sa joue.

-Ca me rassure…

Je le murmure presque, cependant avec son ouïe de vampire elle doit l’entendre parfaitement bien. Je tente ensuite de l’aider a trouver un solution pour ce qu’elle me confie. Je sais que ce n’est pas concluant au final, mais… C’est tout ce que j’ai. Elle sourit, au moins elle ne le prends pas mal, c’est toujours ça.

-Pour être vampire né et être éternel, tu dois faire d’horrible chose… Alors de la chance… Je dirais que tout dépends, mais… On peut dire qu’en effet… Je n’ai pas les même désagrément que toi...

Au final, j'avais traversé beaucoup de choses depuis que j'étais ici. Ma vision de ce qui m'entoure, de moi-même, de ce que j'étais devenue, tout ça avait beaucoup changé depuis mon arrivée. Désormais, je ne peux pas dire que c'est facile ou que je suis forcément heureuse de ma situation, mais j'arrive à m’en accommoder, comme on dit. Eliaz vient caresser ma joue et je souris alors doucement mais je ne réponds rien, profitant simplement de ce petit moment de douceur. Je lui avoue par la suite que je l'envierrai presque de sa situation de vampire né, car il n'a pas les mêmes désavantages que moi. Il me parle alors de choses horribles à faire pour avoir sa condition et forcément, je hausse un sourcil, intriguée.

- Qu'est-ce que tu veux dire … ? Tu … as dû faire quoi ?

En réalité, je ne suis pas vraiment certaine d'avoir envie d'entendre la réponse, mais je pense tout même que j'ai besoin de l'entendre, peut-être pour mieux accepter ma propre condition à moi, que je n'ai pas voulu … À son contraire ? Au fond, je n’en suis même pas si certaine que ça.

Forcément que ce que je dis intrigue Artemis. Qui ne le serait pas ? Et puis la connaissant je ne suis pas surprise qu’elle m’en demande plus. Ma main qui caressait sa joue se stoppe et je laisse finalement retomber mon bras pour détourner mon regard de ses grands et beaux iris en amande afin de regarder l’horizon un instant. Je me mords finalement la lèvre avant de prendre une grande inspiration pour finalement parler de tout ça à Artemis. Si je ne le fais pas, qui le ferais ? Il n’y a pas de manuel sur les vampires…

-Tu n’as qu’à mourir pour avoir l’éternité devant toi. Ce n’est « rien » en quelque sorte. Tu fermes les yeux et tu les ouvres éternel… Moi… Je suis né ainsi certes, mais pour le rester aussi longtemps que toi, je ne dois pas mourir, non… Je dois tuer.

Finis-je par avouer en la regardant de nouveau, la voix plus basse je reprends.

-Je dois prendre la vie d’un loup-garou afin que l’éternité me soit offerte…

Je réalise qu'au final, je ne sais pas grand chose de la condition de vampire d'Eliaz. Je ne sais rien de ce qu'il a du vivre, de ce qu'il a traversé. Je suis donc forcément intriguée par ce qu'il me dit, je souhaite en savoir plus et en même temps ... En même temps, j'ai peur de ce qu'il va me dire. Il m'explique alors que pour accéder à la vie éternelle lui a du prendre la vie d'un loup. Je sens sa tristesse, que ça a du être difficile de traverser ça ...

- Oh Eliaz ... Ça a du être horrible de faire ça ... Je ... Tu ... Comment ça s'est passé ?

Je ne sais pas s'il va vouloir m'en parler, mais je sais que je n'oserais jamais plus lui demander. Alors c'est le moment ou jamais de le savoir ... S'il ne veut pas en parler par contre, je comprendrais ...

Artemis s’interroge et cela est bien normal. Maintenant qu’elle accepte, petit à petit, sa condition elle réalise tout l'ampleur et l’héritage qui vient avec. Forcément, elle se pose des questions, qui sont légitimes et que tout le monde se poseraient dans ce genre de conditions. Je la comprends totalement et je ne lui en veux pas de me poser les questions même indiscrètes. Elle est au final comme une enfant qui découvre le monde, elle est un bébé vampire qui découvre le monde surnaturel et ses compères au final. Lorsqu’elle apprend alors comment un vampire né devient éternel, par ma propre expérience, je baisse légèrement le regard avant de relever finalement les yeux vers elle lorsqu’elle me demande comment est-ce que tout cela est arrivé.

-Disons que j’étais dans une période de ma vie assez… Sombre. J’étais en colère contre le monde entier, j’avais envie qu’ils payent tous, je venais d’apprendre que ma vie était un tissu de mensonge. Ce loup était là au mauvais endroit, au mauvais moment…

Je dis énormément de chose dans ces propos sans pour autant trop en dire au final. Je lui en apprends plus sur moi tout en gardant une grande part de mystère sur ma vie. Le mystère est ce qui m'a maintenu en vie tout ce temps.

C’est grâce, ou à cause?, de cette conversation que j’en viens au constat que je ne connais pas Eliaz autant que je le croyais. Je ne connais pas grand chose, ni même rien en fait, de son passé, c’est là qu’il m’en dit plus, qu’il reste tout de même vague au final. Je me mords la lèvre en écoutant ce qu’il me raconte et je pense que s’il le pouvait encore, mon coeur se serrerait d’entendre tout ça. Je viens doucement poser ma main contre son épaule, la caressant doucement.

- Je suis désolée que tu aie eu à vivre ce genre de chose … C’était … De si horrible choses que tu avais vécu et appris …?

Je ne sais pas s’il voudra m’en parler, mais peut-être que le fait que du temps soit passé depuis ça lui a rendu les choses un peu moins difficile et peut-être que comme je me suis déjà confiée à lui, il acceptera de le faire avec moi aussi …

Artemis pose sa main contre mon épaule, elle semble vraiment compatissante à cette peine et cette douleur que j’ai pu ressentir il y a plus de deux siècles maintenant. Avec le temps, j’ai préféré taire ces émotions et ne pas y penser, j’ai bien peur de dérailler de nouveau si je le fais trop… Mais je sors de mes pensées, lorsqu’à demi-mot, elle me demande d’en dire plus. Elle semble sincère et inquiète, mais je ne sais pas si je serais capable de révéler mon lourd secret… Posant alors ma main sur sa main qui est toujours sur mon épaule, je la regarde dans les yeux.

-Les gens que je pensais aimer et en qui j’avais confiance… Avait fait en sorte que ma vie soit détruite…

Cela était encore vague… Mais la colère gagnait peu à peu mon regard, la souffrance aussi, car je les avait tués, mais au fond… Je les aimais. C’était le plus terrible dans l’histoire.

Je n'arrive pas à savoir si Eliaz n'a pas envie de m'en parler ou si c'est parce que c'est trop douloureux. Il laisse échapper les informations au compte-goutte et j'ai du mal à anticiper la suite, à prévoir ce que ça pourrait être, pour tenter de dire moi-même les mots qui semblent lui être douloureux, mais je n'y arrive pas. Je pose mon regard sur sa main sur la mienne pendant une seconde puis je repose mon regard dans le sien. J'y vois alors de la colère, de la douleur, de la tristesse aussi peut-être un peu ?

- Tu as dû ... beaucoup leur en vouloir ...

Je sais qu'il a une part d'ombre en lui, j'ai vu la colère dont il pouvait être capable, mais je ne sais pas encore à quel point ...

Artemis me regarde, on dirait bien qu’elle tente de deviner ce à quoi je peux penser. Cela me paraît compliqué, elle ne peut pas imaginer qui je suis réellement alors à ce qu’elle dit, je ne fais que hocher la tête rapidement. Au fond, je ne lui mens pas, elle a raison, elle a bien deviné, je leur en ai beaucoup voulu, c’est indéniable, au point de tous les éteindre… Ma rancoeur peut-être tenace. Seulement je ne sais pas si j’ai envie de lui parler de tout ça maintenant. Je ne sais pas si je veux lui laisser voir un petit peu plus le monstre qu’elle a pu voir en moi quelques fois et très rapidement. Je regarde simplement l’horizon.

-Rentrons, le soleil va arriver et tu risques d’y passer...

Eliaz ne semble plus avoir envie de me donner de détail à propos de son passé, de son histoire qui semble si douloureuse ... Je peux comprendre au final, il semble y avoir beaucoup de choses de caché dans son passé, des choses terribles je pense ... Et je pense même qu'au fond, je n'ai pas vraiment envie de savoir tout ça. Je ne veux pas possiblement changer sans le vouloir la vision que j'ai réussi à me re-faire de lui. Du coup, lorsqu'il nous dit de rentrer, je hoche simplement la tête, mais je viens glisser ma main dans la sienne pour rentrer ensuite. C'est ma façon de lui dire que je suis là, comme lui vient de l'être pour moi.

FIN