On m'a parlé de vous ... (Rylan Reeves)

Mon regard se pose à nouveau sur la carte d'affaire où une adresse et un nom avait été gribouillée à l'endos. Ce n'était pas la bonne carte d'affaire, évidemment. C'était celle d'un vieux garage près de Londres, alors non je n'étais pas devant cette adresse, mais plutôt devant celle qu'un ami d'Alby avait notée à l'endos. Il avait entendu parlé de lui, il me disait même que c'était très certainement le meilleur de toute la Norvège. Peut-être qu'il exagérait, il avait tendance à souvent exagérer. Pourtant, j'étais planté là, à fixer la porte qui me mènerait à ce fameux rendez-vous que j'avais pris quelques jours plus tôt. Serais-je prêt à revivre tout mon passé encore une fois ? Est-ce que toute cette souffrance m'apporterait enfin la paix dont j'avais tant besoin ?

Je n'ai toujours pas compris comment je faisais pour continuer à mettre un pied devant l'autre. Comment j'avais fait pour poursuivre ma vie pendant tout ce temps... Peut-être que c'était ce à quoi ma vie était destinée. Peut-être que je devais vivre pour vivre les évènements que j'avais vécu dans les dernières semaines ici, à Oslo. Tous les chemins mènent à Rome, n'est-ce pas ce que l'on dit ? Peut-être que ma vie m'avait mené à la rencontre elle, à me faire rapetisser de façon inattendue et sans explication et .. à pousser cette fameuse porte.

Je la pousse enfin et j'indique ma présence à la secrétaire avant de m'installer dans la petite salle d'attente, le dos bien droit sur une chaise.

Je n'aimais pas particulièrement l'idée de dévoiler à nouveau ma vie à un inconnu, mais je pensais tout de même que c'était sans aucun doute la meilleure façon pour moi d'avancer. J'avais planifié ma visite dans ma tête, énoncer mentalement certaines choses dont je voulais parler sans pouvoir toutefois être certain de si les choses allaient se passer de la façon dont je le planifiais. J'attendais malgré tout, assez nerveux, mais sans rien laisser transparaître sur mon visage ou dans mon attitude. Je relève la tête en entendant la porte s'ouvrir, dévoilant un homme aux cheveux mi-longs, portant la moustache et une sorte de petite barbiche. Je remarque les gants qu'il porte alors qu'il serre la main de son dernier patient. Il m'appelle et je me lève donc finalement pour venir lui serrer la main à mon tour.

- C'est bien moi.

Je le suis à l'intérieur du bureau, regardant les deux places qui s'offrent à moi. Le canapé, signe d'aisance, de confiance, ou la chaise, plus droite, plus stricte et distante ? La chaise me semble une meilleure option pour un premier rendez-vous. Elles nous permettra à tous les deux d'être sur une sorte de pied d'égalité. C'est donc sur la chaise que je m'installes. Le psychiatre reprend a parole et je le regarde alors directement dans les yeux, sans réel inconfort de ma part.

- J'étais suivi par un autre psychiatre quand je vivais en Angleterre, mais comme je me suis installé récemment à Oslo, on m'a recommandé de venir vous voir pour un suivi régulier à nouveau. J'ai été diagnostiqué d'un trouble de bipolarité il y a un moment déjà et on m'a assuré qu'un suivi régulier pouvait m'aider à stabiliser certaines périodes plus à risque de rechute et pour le moment, il est vrai que cela me réussi bien alors j'aimerais continuer, même si cela signifie de tout recommencer.

Je n'avais, après tout, rien à lui cacher si de toute façon je devrais lui raconter toutes les parties les plus sombres de ma vie par la suite. J'étais toutefois curieux de la façon dont il allait m'accompagner dans nos rencontres.

Je n'avais pas honte de parler de moi et de ma vie avec un professionnel. Avec quelqu'un d'autre ce serait une toute autre situation, mais ce n'est pas à cette situation que nous sommes présentement confrontés alors autant rester focusé sur celle-ci. Je lui explique ma situation, ma maladie et surtout l'aide que je pense qu'il peut m'apporter. La thérapie m'a toujours fait du bien et comme on me l'a recommandé, je pense que ce peut être un duo gagnant. Je lui adresse un sourire suite à ses premières paroles.

- Je l'espère aussi.

J'avais développé une grande complicité avec mon ancien psychiatre, j'espérais retrouver une relation similaire ici. Il m'offre à boire et je pèse le pour et le contre. Je n'ai pas soif, mais je ne veux pas avoir l'air d'être dans une attitude fermée alors que je suis ici pour m'ouvrir. Il faut bien que je commence quelque part pour être à l'aise, alors...

- Un thé, s'il vous plaît.

Après tout, j'étais anglais. J'attendis qu'il me serve mon thé pour le remercier, mais je ne prend pas de gorgée tout de suite, préférant le goût du thé quand celui-ci a bien infusé. Je relève les yeux vers l'homme et même si j'ai l'habitude de ces séances, je joue avec mes mains.

- Je ne sais pas par où commencer. Comment est-ce que vous fonctionner habituellement?

Suivre des règles établies, voilà qui était quelque chose qui me rassurait, qui me donnait une ligne directrice à suivre. J'aimais quand les choses étaient claires, organisées ... Et quand je pensais à tout ce que j'avais à dire, j'avais l'impression que rien ne l'était.