De l'autre côté du miroir [Aedan Cursse]

Je fais les cent pas dans ma chambre. Je ne suis plus attachée puisque je suis seule ici, enfermée à double tour depuis des heures et pourtant, je sens encore la présence des menottes sur mes poignets fins. Mes mains les massent tour à tour alors que je continue de marcher, ce que je fais depuis des heures. Je pense que si j'avais mis des chaussons sous mes pieds, le plancher serait presque creusé de propreté. Je suis tellement perdue dans mes pensées, je repense à tout ce que j'ai fais depuis que je suis ici, toute ces personnes que j'ai rencontré, ma relation avec Eliaz, ma dernière rencontre avec l'infirmier Aedan que j'ai failli tué et que je n'ai pas revu depuis ce fameux moment. Je m'en veux. Je m'en veux d'avoir laisser ce monstre prendre le contrôle de moi de la pire des façons. Qu'est-ce qui ce serait passé s'il n'avait pas été aussi fort, s'il n'avait pas pu me repousser ? Il serait certainement mort et juste le fait de repenser à ça me fait monter les larmes aux yeux.

Mais comme une sorte de signe du destin, je sens son odeur. Il est là, à quelques pas de moi et il se rapproche. Mon regard se pose sur la porte, verrouillée et complètement fermée, je ne peux rien voir de ce qui se trouve de l'autre côté. Je m'avance tout de même vers celle-ci et lorsque je sens l'odeur de l'infirmier arriver à cette hauteur, je prends tout mon courage, ne réfléchissant même pas à ce que je vais lui dire, je toque.

- Aedan ? Aedan, tu es là ?

Je sais bien qu'il est là, mais .. J'espère qu'il va me répondre et pas simplement partir, même si je le comprendrais. Moi non plus, je n'aurais pas envie de me revoir.

J'avais fait une erreur. Une incroyable erreur de croire que je pouvais me contrôler toute seule. Pourtant, je continuais de vouloir le faire. Mais comment accepté d'être aidé quand ceux qui devait t'aider te font peur ? La médecin spécialiste en vampire m'a traumatisée en me parlant de ses façons de faire, Eliaz m'a fait extrêmement peur en s'énervant la dernière fois et Crystal ... Je la déteste elle et ses grands air de diva. La seule personne à qui je fais confiance a peu près est Eretria, mais elle est malheureusement du côté des gens qui doivent me forcer à me nourrir alors, c'est un peu difficile.

Bref, tout ça pour dire que je sens l'odeur de l'homme que j'ai attaqué, celui qui m'a déjà fait du mal aussi en quelque sorte, mais que j'ai failli tuer sous la faim. Je l'appelle, espérant qu'il s'arrête. Et c'est ce qu'il fait. Je reste silencieuse un instant, attendant de voir s'il va dire quelque chose, mais il reste silencieux également. Je prend donc mon courage à deux mains pour reprendre la parole.

- Aedan, je ... Je suis désolé, si tu savais ... Jamais je n'ai voulu te faire du mal volontairement ... Je n'étais pas moi-même à ce moment-là et ... Je m'en veux terriblement .. Je voulais juste que tu le saches ..

Je ne sais pas si ça changera quelque chose pour lui, mais moi, il fallait que je lui dise. Il avait peut-être des méthodes drastiques, mais il n'en était pas moins que c'était un très bon infirmier ... Bon, quand on oubliait qu'on était le patient qui subissait ses méthodes.

Je m'en veux du mal que j'ai pu faire. Je n'ai jamais été une personne avec de mauvaises intentions, je n'ai jamais voulu faire de mal à qui que ce soit, je ne suis même pas du genre à souhaiter du malheur aux gens ! Bon, il est certain que ça a dû m'arriver par le passé, mais tout ça pour dire que je ne me reconnais pas du tout quand le monstre prend le contrôle de moi, de mon esprit. Je n'ai plus aucun contrôle sur ce que je fais et chaque fois, je fais de pire en pire. Lorsque je sens l'odeur de ma dernière et plus grosse victime arrivée, je sens la culpabilité venir se nicher tout au fond de ma gorge, mais le courage me donner une poussée dans le dos pour lui parler. Pourquoi ? Je ne sais pas. J'en ai besoin.

Je sens des émotions fortes le traverser. Il les dégage de façon si forte que même à travers la porte, je le sens bouillir. Mais la porte ne reste pas longtemps entre nous puisqu'il ne tarde pas à l'ouvrir à la volée, me faisant reculer de quelques pas sous la surprise et la peur de céder à nouveau de le voir devant moi. Non... Je ne céderais pas, pas à cette envie là.

- Je ..

Je me retrouve bouche bée. Je ne m'attendais évidemment pas à ce qu'il accepte mes excuses à bras ouverts, mais je ne m'attendais pas à une réaction d'une telle férocité. Ma voix tremble, les larmes sont au bord de mes yeux comme spectateurs de la scène.

- Je sais que tout ce que je diras ne changera rien, mais il fallait que je te le dise, je voulais que tu le saches, que je n'ai pas voulu te faire de mal volontairement.. Je voulais savoir si tu allais bien et surtout je voulais tu saches que je m'en veux, je n'arrives pas à .. à contrôler ce qu'il se passe quand j'ai faim, la faim me dévore de l'intérieur et .. et je n'ai plus le contrôle de rien du tout !

Ma voix se brise encore un peu plus et je serre finalement les poings. Je ne devrais sans doute pas lui dire tout ça. Il pourrait faire resserrer encore plus mon programme qui l'a déjà bien été suite à cette agression.

- Attaches-moi, enfermes-moi ici, tortures-moi même s'il le faut ! Fais tout ce que tu veux pour te venger de ce que je t'ai fais subir... J'ai failli commettre l'irréparable et je m'en voudrais toute ma vie pour ça.

Et pourtant, rien dans mon attitude ne changeait réellement. Je parlais, mais sans appliquer tout cela .. Mais la notion des dons de sang ne semblait pas entrer dans ma tête, je n'arrivais pas à la concevoir.

Je me sens mal, je me sens affreusement mal pour ce que j'ai fais. Je m'enfonce encore un peu plus dans les ténèbres de mon esprit. Je refuse encore plus de nourrir le monstre qui m'habite et celui qui hurle dans le fond de mon estomac. Je pleure en lui disant ce que je ressens, en lui faisant des excuses. Je sens bien vite la tristesse être remplacée par la colère, pas contre lui bien entendu, peut-être un peu contre moi, mais surtout contre le monstre. J'en veux aussi à Eliaz, d'avoir fait de moi ce que je suis devenue, de m'avoir fait rencontré cette femme sans le vouloir ... Cette femme horrible et fascinante à la fois. Je ne sais pas ce qu'elle est devenue depuis tout ce temps, Eliaz non plus d'ailleurs, mais je dois dire que je m'en fiche presque. Surtout d'elle en fait. Bref, je sens les larmes venir perler aux coins de mes yeux, puis rouler contre mes joues. Mais je le vois aussi. Je le vois qui, malgré que je m'y sois attendu, ne semble pas prêt d'accepter mes excuses. Très loin même. Je vois la colère au fond de ses yeux et surtout, je la vois rapidement exploser. Je n'ai pas le temps de réagir, pour un vampire ce n'est pas peu dire, que je me retrouve à l'autre bout de la pièce, le corps presque enfoncé dans le mur sous la force de son lancée de l'Artemis. Encore étourdie par ce vol plané, je le sens pourtant agripper mon bras et me forcer à me relever. Sonnée, je n'entends presque pas ce qu'il me dit. Ses paroles sont crues, dures à entendre et pourtant ... Pourtant, emplies de vérité. Je ne sais pas les affronter. Je détourne le regard, sentant des sanglots venir se bloquer dans ma gorge et secouer mes épaules. Il a raison, il a tellement raison que ça me fait mal. Je devrais mourir. Je devrais mourir et soulager tout le monde plutôt que de rester ici depuis je ne sais combien de mois, à ne jamais évoluer, ne jamais avancé, ne jamais accepté l'aide qu'on m'offre... à mesure qu'il parle, sa voix devient de plus en plus agressive, de plus en plus emplie de colère et son bras vient alors se mettre de travers sur ma gorge, m'empêchant de respirer de plus en plus. J'ai l'impression d'asphyxier et je dois avouer que sur le coup, je préférerais que ce soit le cas. Je n'aurais plus besoin d'assumer la dureté de son regard, la vérité glaciale de ses mots. Avec le peu d'énergie qu'il me reste, je parviens tout de même à le repousser. Pas très loin, à un pas ou deux seulement, mais ça me permet de reprendre mon souffle. Ma voix, devenue rauque, ne semble pas m'appartenir tellement j'ai du mal à reconnaître ce que je dis, ayant tenu le discours inverse depuis mon arrivée ici. Peut-être étais-ce lui au fond, de qui j'avais eu le plus besoin ? Celui que j'avais sans doute le plus repoussé parce qu'il me faisait peur était au fond mon véritable sauveur.

- Tu as raison... Je ne mérites pas cette deuxième chance que la vie m'a donné si je ne la saisis pas et que j'en fais autant n'importe quoi ... Tu as raison, ce n'est pas une vie ni pour moi ni pour vous que de vivre ainsi, sans savoir plus d'une heure à la fois si j'ai envie de vivre ou de mourir... Si je veux me rattraper auprès de toi et auprès de n'importe qui, il faut que je fasse mon choix.

Je m'avance alors vers la fenêtre. Elle est évidemment, placardé, solidement dissimulée et hors de mon contrôle. Le rideau de fer devant celle-ci, ne bougera pas, même si j'en ai envie. J'ai l'impression que je peux voir à l'extérieur, le soleil qui rayonne. Je porte ma main à ma gorge, sentant encore la présence de celle d'Aedan, ma gorge était encore brûlante de sa poigne. Je me tourne finalement vers lui à nouveau le regardant dans les yeux, même si cette fois, je n'ose pas l'approcher encore.

- Je dois ... Non, je vais faire le choix de vivre. Ainsi tu auras encore des années pour me détester et moi des années pour me faire pardonner.

Il est cette ancre. Ce poids qui me fait couler tout au fond pour me permettre de me stabiliser enfin. Il hurle, je sens sa colère tellement fortement que j'ai l'impression qu'il hurle également dans ma tête alors qu'il a la bouche fermée. Je parle à mon tour, je lui dis la vérité, je ne serais pas apte à mentir avec de tels sentiments en moi. Je sais que presque n'importe qui à ma place profiterait à fond de cette chance, de cette possibilité de tout reprendre à zéro et que moi je foire cette chance. Il me le fait réaliser. Je comprend enfin l'importance de cette chance. Je prends ma décision, celle de vivre et je lui en fais pars en lui promettant d'une certaine façon d'être là près de lui pendant des années encore. De quelle façon, je n'en ai aucune idée, peut-être uniquement dans son esprit comme un mauvais souvenir, mais j'espère que ce ne soit pas le cas, même si je ne saurais totalement expliquer pourquoi. Il ne réponds rien et je sens mes bras rester près de mon corps, comme des poids lourds, le poids lourd de mon existence que je veux rendre plus légère désormais .. Je finis par me laisser tomber parterre, assise et je sens une nouvelle larme rouler sur ma joue alors que je murmure :

- Je te le promets...

Je ne sais pas si la promesse s'adresse à lui ou à moi, je ne sais plus réellement où j'en suis ... Mais je tiendrais tout de même cette promesse.