Initiation au Taekwondo (Aiden Nivahriin)

Maintenant que nous étions bien installés, que l'adaptation à cette nouvelle ville était bien engagée et que la routine rythmait de nouveau nos journées à la cadence de nos habitudes, il était vraiment temps que je m'y remette ! Pratiquer une activité physique en générale commençait à me manquer, mais mon art martial en particulier.

Combien de temps ça faisait, déjà ? Dix ans ? Douze ans ? Je ne sais plus trop... presque aussi longtemps que je suis infirmier, en tout cas. Je travaillais déjà de nuit, et de toute façon, tout au nord de la Norvège, il fait nuit pour ainsi dire la moitié de l'année. Mon mari, qui n'était encore que mon compagnon à l'époque, m'avait alors fortement suggéré de me mettre à la pratique d'un sport de combat. Ce qui ne me tentait pas vraiment, à la base. Le sport... j'ai toujours aimé ça, vraiment, je n'étais pas le genre à rechigner à l'école lorsque ce cours arrivait, bien au contraire. En revanche, c'est le sport qui ne m'a jamais aimé. Petit, je faisais du basket. Et puis les autres ont grandi. Pas moi. Et puis je me suis lassé d'à peu près tout le reste. J'étais toujours suffisamment bon pour pratiquer, mais pas assez pour pleinement m'amuser, mais surtout m'intégrer au sein d'une équipe. Alors je me suis contenté de faire du snowboard la moitié de l'année, tranquillement seul ou avec des amis, et de la randonnée le reste du temps.

Je ne sais pas pourquoi, quand Svein a fini par me convaincre, j'ai trouvé un endroit où il y avait ça, du taekwondo. Je trouvais que ça sonnait bien et que c'était un sport olympique, mais à part ça, j'y connaissais vraiment rien. Par hasard, mais aujourd'hui je pense surtout par chance, je suis donc tombé sur un club qui pratiquait bien le taekwondo, mais... ITF. La fédération internationale, qu'il ne fallait pas confondre avec la pratique WTF. Celle des Jeux Olympiques justement. Mais bon, peu m'importait. Le club n'était pas trop loin de chez moi, les horaires convenaient à mon travail, et l'ambiance était sympa.

Si on veut comparer les deux taekwondo, il faut commencer par dire ce qui est : le nom est clairement la seule et unique chose qu'ils ont en commun. En fait, aujourd'hui, quand je regarde un combat de niveau olympique de l'autre taekwondo et bien... je n'aime pas ça. Je soupire, rigole parfois, me demande souvent à quoi servent leurs bras à part à se dandiner comme des spaghetti le long de leurs corps.

Anyway. Le taekwondo, ITF donc, est dit "traditionnel". Enfin en tout cas pour nous. La vérité est bien plus... politique. Mais moi je fais du sport, le reste, ça ne me concerne pas. Mon maître du Troms m'avait indiqué un autre maître vivant à Oslo et qui pouvait m'enseigner à mon niveau. Je l'avais déjà rencontré dans des stages ou des compétitions, mais ses horaires de cours ne correspondaient pas vraiment à ce qui pouvait me convenir... il m'avait laissé son numéro, pour qu'on puisse se prévoir des rencontres ponctuelles afin que je puisse continuer mon entraînement. Pour le reste, qu'à cela ne tienne, j'allais ouvrir mon propre cours ! J'avais récemment passé mon IIIe dan, et j'enseignais déjà aux ados dans ma ville natale.

Et justement, une nouvelle salle de sport venait d'ouvrir en ville, dans une ancienne usine réhabilitée. Si l'extérieur nous laissait parfaitement imaginer le passé du bâtiment, l'intérieur était étincelant, flambant neuf et tout équipé. Ils avaient accepté ma demande d'ouvrir un cours aux adultes et adolescents de plus de seize ans, et j'avais déjà visité les locaux plusieurs fois, surtout la partie dojo dans laquelle je m'étais déjà entraîné tout seul.

Je venais donc aujourd'hui pour mon premier cours à donner ici, à Oslo. Je n'avais aucune idée de la publicité que cette salle de sport s'était faite en générale, ni pour mon cours en particulier. J'en avais vaguement parlé autour de moi, mais je ne connaissais pas encore grand monde. Je m'étais donc préparé à un cours en petit comité, même si l'inverse n'était pas à exclure. J'étais tout de même arrivé avec une certaine avance, et m'étais changé directement. Ainsi habillé en dobok (soit le "kimono" version taekwondo), au moins, pas de doute sur les raisons de ma présence et en quelle qualité. Si quelqu'un venait pour le cours, il saurait à qui s'adresser. En attendant, comme il restait bien une demi-heure avant le début du cours, je commençais à m'échauffer et enchaîner quelques tuls.

Je ne sais pas trop combien de temps il s'est passé entre le moment où j'ai commencé à m'échauffer et à travailler pour moi-même et celui où une personne m'a abordé. À vrai dire, ça la fichait plutôt mal, pour un prof. J'étais tellement concentré sur ce que je faisais que je ne m'étais même pas rendu compte que le monde autour de moi existait encore... j'espère au moins que ça n'a fait fuir personne !

Je m'arrête net, et hausse un peu un sourcil à la question qu'on me pose, restant un peu bête un instant. Qu'il me parle anglais ne me posait aucun souci, c'était plutôt la question en elle-même qui m'avait surpris. Je lui répondais donc dans la langue de Shakespeare.

- Euh... si vous avez oui, sinon, une tenue de sport classique conviendra très bien. Les vestiaires sont par ici.

Je lui indiquais simplement les portes qui y menaient, et ajoutais cette fois un sourire :

- Je vous retrouve dans quelques minutes, alors.

En attendant, j'allais consulter l'heure sur mon téléphone. Il ne restait plus que dix minutes avant le début officiel du cours et je n'avais toujours aucune idée du nombre d'élèves que j'aurai. Mais en attendant, puisque j'en avais un, autant en profiter. Il sort justement des vestiaires, alors je lui souris de nouveau.

- Vous avez déjà pratiqué le taekwondo ou un autre art martial ?

Oui, autant commencer par les bases.

C'est toujours intéressant quand des nouveaux pratiquants, ou même des pratiquants tout court, ont exercé, ou exercent en parallèle, un autre art martial. Personnellement, ce n'est pas mon cas, c'est le seul que je connaisse réellement. Je m'intéresse bien entendu à d'autres, mais sans jamais les avoir vraiment "testé". Je souris donc à mon interlocuteur avec un intérêt non dissimulé, puisque je lâche même un "interesting!" avant qu'il ne parte se changer.

Finalement, je me retrouve avec plusieurs élèves. Ce n'est pas la cohue, mais c'est tout de même plus flatteur pour l'ego qu'un seul, ou pas du tout. Tous sont adultes, même si l'un d'eux ne doit pas avoir plus d'une vingtaine d'années. Je réponds à mon premier élève que je m'appelle Ørjan, et que ça ira très bien. Je ne lui retourne pas tout de suite la question, non pas par impolitesse, mais parce que j'invite tout le monde à se rassembler au centre de la salle. Je me présente donc informellement à eux, avant de me renseigner sur le prénom de chacun. Je parle en norvégien, donc lentement puisque je crois que l'un d'eux ne le parle pas, avant de demander si ça convient à tout le monde que le cours se fasse en anglais. Au pire, je traduirais au fur et à mesure, mais si je peux me permettre de ne parler qu'une seule langue, que ce soit l'anglais ou le nynorsk, ça m'est égal, puisque de toute façon, ma langue de base, c'est le bokmål.

Une fois les présentations faites, ayant précisé que pour plus de facilités et dans un esprit de convivialité, je tutoierais tout le monde et inversement, je me recule un peu et leur demande de s'aligner face à moi. C'est parti pour les bases.

- Alors, pour la petite histoire, ici, nous pratiquons le taekwondo ITF, par opposition à la pratique WTF, que vous pouvez voir aux Jeux Olympiques. Alors... le seul point commun dans la pratique étant le nom, il est inutile de détailler les différences. Disons qu'il s'agit du sport national coréen et que comme chacun sait, la Corée... il y en a deux. Ici, on ne fait pas de politique, juste du sport, même s'il faut que vous sachiez que la pratique ITF, dite traditionnelle, est celle qui est associée à la Corée du Nord.

Ouais, ça craint toujours un peu d'entamer les choses par ça, mais bon... Je les laisse se faire à l'idée, avant d'entrer cette fois réellement dans le vif du sujet.

- Ceci étant dit, comme dans un grand nombre d'arts martiaux, nous allons commencer par le salut. Le salut se fait à chaque début de cours, à chaque fin de cours, mais aussi quand on entre dans la salle de pratique, et quand on en ressort. Et bien évidemment en début et fin de chaque combat. Pour la position, c'est d'abord pieds joints, les talons collés et les pieds légèrement ouvert. Il faut grosso-modo pouvoir y mettre un poing.

Tout en expliquant, je me mets en position progressivement, et continue :

- Les bras se placent le long du corps, les poings fermés, et les avants-bras relevé et ouverts, comme ceci. C'est cette position qu'il faut adopter, face à l'instructeur, lorsque quelqu'un, généralement le plus gradé des élèves, donne le mot d'ordre : "charyot!".

Je regarde chacun, corrige un peu éventuellement les positions, et enchaîne.

- Ensuite, on se penche très légèrement en avant, les yeux toujours fixant la personne qu'on salut. C'est à ce moment là qu'il faut dire "taekwon!". Comme taekwondo, mais sans le do.

Après avoir laissé chacun tester les positions, parfois s'auto-corriger et fait deux ou trois fois le mouvements, je leur annonce qu'il est temps de le faire pour de vrai et de commencer enfin le cours.

- Charyot ! ... Taekwon !

La difficulté dans les premiers cours, c'est toujours la dualité entre les explications et la parlotte nécessaire, et l'action. Passons donc à la deuxième. Donc d'abord : échauffement !

- Aller, on va courir un peu !

En attendant les beaux jours ou simplement un stade extérieur, ou même carrément un sours spécial dans un parc ou ailleurs, c'est parti pour courir comme des moutons autour de la salle elle-même. Après quoi, quelques échauffements et étirements. La base.

Que les élèves soient débutants ou non, il y a toujours un rythme plus ou moins régulier à tenir pendant un cours. Il y a besoin d'explications, mais pas trop, sinon on en perd en cours de route. Il faut une bonne de dose de technique, sinon... on perd tout le monde, mais il faut bien la doser, parce que s'il n'y a que ça, ça ne risque pas de motiver à revenir. Il y a aussi les combats mais avec des débutants, un premier jour ? Hors de question. Alors prenons les bases par les bases. Fini la parlote, place à l'action. Enfin... place à la technique à enchaîner. Ouais, c'est souvent ça aussi, les arts martiaux...

- On va passer à un peu de pratique technique. Alors une des différences pratiques assez marquante avec les deux taekwondo, c'est... l'utilisation des poings. Ici, on va les utiliser quasiment autant que les pieds, que ce soit pour parer, on parlera alors de blocage, ou pour attaquer. Il existe pour ça plusieurs techniques, qu'on attaque main ouverte, main fermée, ou avec le coude, etc. On va commencer par le coup de poing de base, main fermée.

Et c'est là toute la difficulté avec les nouveaux. Bien expliquer la technique mais éviter qu'ils se refroidissent ou s'endorment pendant ce temps là. Alors je choisis simplement de faire d'abord une démonstration, en restant sur place, enchainant quelques coups de poings dans le vide, main droite, puis main gauche, etc. Comme ça ils voient le principe. Ensuite, je compte en coréen jusqu'à cinq pour qu'ils fassent de même en même temps que moi. Tant pis pour l'instant si leurs positions, de jambe, de bras ou autre n'est pas correcte. Disons que ça fait encore partie de l'échauffement. Je passe ensuite auprès de chaque élève pour corriger les positions tout en donnant cette fois des explications à tout le monde.

D'abord la base : la position des jambes. Pour l'instant, celle de base, on verra plus tard pour le reste. Mieux vaut se concentrer sur les plus grandes flagrances de départ. J'explique aussi l'importance de la respiration : une inspiration "lente" lors de la préparation du mouvement, suivie d'une expiration rapide et ferme au moment de l'impact, les abdos contractés. C'est sans doute même plus important que le reste, puisque ça peut éviter bien des KO respiratoires en application "réelle". Mais ça, je m'en inquiète pas pour l'instant, c'est en général fait par imitation au début, on verra plus tard, concentrons-nous d'abord sur les gestes.

- Alors contrairement au karate, à la boxe ou à d'autres formes d'arts martiaux, les épaules doivent rester parfaitement droites, elles n'accompagnent pas le bras, elles restent sur place. En taekwondo ITF, on est des gros flemmards, on est partisans du moindre effort, et c'est trop coûteux en énergie de ramener une épaule qui n'a pas d'efficacité claire dans le résultat qu'on veut obtenir. À savoir en l'occurrence, casser une mâchoire ou un nez.

Je souris pour bien montrer que c'est à moitié une plaisanterie, avant de refaire le mouvement moi-même pour leur montrer à nouveau.

- Deuxième chose... vous allez voir, c'est encore un truc de flemmards. On n'a pas envie de se fatiguer pour rien à mettre de la force dans un bras qui à la base, n'en a pas forcément. Surtout si c'est pour bloquer une jambe, quand il s'agit d'un blocage. Alors ce qu'on va faire, c'est accompagner le mouvement avec la hanche, pour envoyer le bras, comme un fouet. Les seules parties du corps qui agissent sont les hanches, et le poing. Le bras se contente juste d'envoyer le poing. C'est fatigant, sinon. Un art martial de flemmards, je vous le dis. C'est pour ça aussi que la trajectoire du poing va être optimisée.

Sur ce, j'enchaîne quelques explications, corrections et mise en pratique pour essayer de ne perdre personne en cours de route. Une fois que ça m'a l'air assez correct, je passe au coup de pied, histoire qu'ils aient un peu de tout. On terminera par les blocages, et une fois que c'est fait, pas trop ennuyeux pour eux j'espère, j'introduis la technique pure.

- Alors comme vous le savez peut-être, le karate a ses katas, le taekwondo WTF a ses poomse, nous, en ITF nous avons des tuls. C'est un enchaînement de techniques contre un ou plusieurs adversaires imaginaires, qui comme par hasard, font exactement la même taille et la même corpulence que nous. Ces tuls portent des noms, il y en a en gros un pour chaque grade, et le tout premier s'appelle Chon-Ji. Démonstration.

Spoiler:

S'en suivent évidemment les explications mouvement par mouvement, les positions déjà vues dans les exercices précédents, et bien entendu, la respiration. Je ne m'attends évidemment pas à ce qu'ils y arrivent du premier coup, mais il faut bien commencer par quelque chose.

Le cours arrive alors à sa fin, dernière parlote, dernier salut, et applaudissements. Oui, on s'applaudit à la fin. C'est pour s'envoyer des fleurs et se remercier les uns les autres d'avoir participé. Après quoi, tout le monde se retrouve finalement dans les mêmes vestiaires. J'adresse un sourire à ma petite audience, espérant leur avoir donné envie de revenir.

- Alors ? Comment est-ce que vous avez trouvé cette première séance ?

J'ai toujours eu du mal à me faire des nouvelles connaissances ou à m'intégrer quelque part. Excepté dans deux domaines : mon travail et le taekwondo. En d'autres termes, les deux rares trucs que je sais faire à peu près correctement. Bon, on pourrait aussi y ajouter la famille, je crois que je suis pas trop mauvais comme père et comme mari, finalement. Mais ça, ce n'est pas tellement à moi d'en juger. Peut-être que l'adolescence simultanée de trois gamins nous le dira ?

Quoi qu'il en soit, j'ai toujours eu besoin d'un peu de reconnaissance pour me motiver. Je dois avoir une trop mauvaise estime de moi, alors je cherche à me rassurer sur comment les autres me perçoivent, ou quelque chose comme ça, je suppose. C'est vrai que quand on me voit avec ma blouse blanche d'infirmier ou entouré de mes enfants, il est peut-être difficile de m'imaginer avec mon dobok bordé de noir, envoyant des coups de pieds ou de poings bien placés, capables de briser des os. Même si je ne le fait bien évidemment pas pour ça, oui, j'en suis techniquement capable. Mais on se cantonne aux briques et aux planches de bois dans le cadre du sport, alors je n'ai jamais rien cassé d'autre. Sauf... une table, une fois, j'ai tapé dessus par énervement pendant une dispute avec Svein et elle s'est brisée en deux. Lui, ça l'a fait rire. Heureusement que je ne suis pas de nature violente, parce que si ça avait été son crâne...

Bref. Je suis vraiment content, rassuré quand mes élèves du jour me renvoient des impressions positives. Je leur propose d'en parler autour d'eux pour renflouer les rangs, et l'un d'eux reste pour me poser quelques questions supplémentaires. Et ça, c'est quand-même cool.

- Normalement, oui ! Vous êtes le bienvenu pour revenir. Je vais essayer de mettre en place deux cours pas semaine, mais ça risque d'être compliqué pour l'instant... peut-être plus tard. Voyez encore quelques séances pour vous décider, c'est pas un problème. Je crois que la salle en offre trois gratuites, c'est ça ?

J'allais lui proposer à lui aussi de ramener du monde, mais de toute évidence, puisqu'il ne parlait pas encore norvégien, il devait être nouveau dans la région. Cela dit, moi aussi.

- La prochaine fois, j'introduirais un peu de self-defence, en fin de cours. Je crois que le krav-maga se base dessus, non ?

En théorie, quasiment tous les arts martiaux sont basés sur la défense. Certains le mettent plus en avant que d'autres. En taekwondo, ITF du moins, il s'agit d'une part non-négligeable, il s'agit presque d'un tiers, partagé avec la technique et les combats. Le léger pourcentage restant étant réservé à la casse lorsqu'il s'agit de passer un grade, à la relaxation et au massage en cas de pratique intensive comme dans un stage, ou juste à la philosophie autour du sport, qui se permet alors de se donner le titre d'art. Pour le reste, à vrai dire, je ne connais quasiment rien aux autres sports de combat ou arts martiaux.

Il y a trois façons de se mettre à un sport en particulier. La première, la connaissance de ce sport depuis presque toujours (les classiques foot, basket et autres). La deuxième, le hasard (mon cas, à vrai dire, quand je me suis mis au taekwondo j'ai choisi le club le plus proche sans avoir aucune idée du fait qu'il en existait plusieurs sortes). Et la troisième, le bouche à oreille. Alors, super s'il peut tenter de faire venir sa petite amie !

- Excellente idée ! N'hésitez pas à lui proposer de ramener une copine. Je viens d'arriver à Oslo, alors c'est un peu compliqué pour moi aussi de ramener du monde.

Quoi que peut-être un peu moins. Mais par rapport à mon grade, je ne peux pas vraiment proposer mieux que des cours à des débutants, ou des pratiquants qui ne dépassent pas la ceinture rouge. Je ne suis pas encore habilité à leur faire passer leur premier dan ! Par contre, je peux faire passer tout le reste, de la barrette jaune à la noire.

- C'est toujours intéressant de comparer les techniques également, surtout quand il existe des parades, ou simplement des façons différentes d'arriver aux mêmes fins.

Même si globalement, en self-défense, ça reste à peu près commun à tout le monde. Il n'y a pas trente-six "meilleures façons" de se dégager d'une prise. Bien-sûr les explications peuvent différer, mais dans ce contexte particulier, on ne cherche pas à se battre ou à répliquer, juste à se dépêtrer d'une certaine situation. Et puis bien souvent et heureusement, la plupart des gens n'auront absolument pas à se servir de ce genre de technique dans la vie réelle. C'est juste un plus pour l'assurance et la confiance en soi. Moi même je n'ai jamais eu à en arriver jusque là, et ce en plus de dix ans de pratique et de travail de nuit. Je ris un peu à sa question.

- Oulà non ! Pour ça il me faudrait un peu plus de grades ! Mais merci pour le compliment, dans mon ancienne ville j'enseignais surtout à des enfants, et c'est vrai qu'en général, en tant que ceinture noire, on est plus souvent amené à donner des explications. Disons que ça devient une habitude !

Autre question d'habitude, je salue la salle, désormais vide, avant de sortir de celle-ci. Tant pis si j'ai l'air ridicule devant des débutants qui ne sont pas encore familier avec cette pratique.

- Vous venez d'où, sans indiscrétion ?

Il avait un prénom d'anglophone, mais son accent avait l'air plutôt étranger. Enfin, bien que je maîtrise la langue, non seulement je dois moi-même avoir quelques résidus d'accent norvégien, mais surtout, je ne peux pas prétendre connaître tous les accents natifs anglophones.

C'est vrai que c'était un peu idiot de proposer ça. De toute évidence, il n'était pas du coin. Moi-même je ne pouvais pas demander à mon propre mari de me "ramener un de ses copains" pour renflouer les rangs de mes cours. Quoi que, avec son métier, il connaissait déjà sans doute plus de monde que moi vivant dans les parages.

- Ah, oui, évidemment, je comprends.

Stupid me. Toujours dire ce qui faut pas quand il faut pas. On en ferait presque une spécialité. La conversation dérivait un peu, ce qui me mettait déjà plus à l'aise. Même si je n'ai jamais pratiqué un autre art martial, celui-ci, je le maîtrise. Enfin, jusqu'à un certain point tout de même, je ne suis pas encore passé maître, mais je pratique depuis assez longtemps pour me sentir dans mon élément et ne pas avoir à réfléchir pour répondre ou participer. Je ris un peu à ses réflexion, un peu gêné par tant de flatterie, mais ravi tout de même. Oui, ça ne fait jamais de mal à son ego.

Je reste interdit un court instant quand il me dit venir de Milan mais surtout... imaginer que je vienne de loin. Bon, peut-être que ça s'entend pour un natif, mais là de toute façon, on parle anglais et... j'ai toujours pensé que j'avais l'air du Norvégien que je suis, avec ses yeux clairs et sa peau qui vire au rouge au moindre rayon de soleil.

- Jolie ville ! Qu'est-ce qui vous fait dire que je suis de si loin ? Bon, en vrai, vous n'avez pas tort, je viens du Troms. Dans le nord de la Norvège, juste... juste au-dessus du cercle polaire. Je ne sais pas pour Oslo, mais là haut, il n'y a pas beaucoup d'italiens.

Je ris un peu pour lui montrer que c'est de l'humour, en espérant qu'il le prendra bien. Il me demande ensuite clairement ce que je fais dans la vie, et je souris à nouveau. Non, strictement rien d'indiscret.

- Je suis infirmier ! En service de nuit généralement. Et vous ?

Infirmier ceinture noire de taekwondo ITF. Oui. Ne jamais oublier que savoir sauver des vies c'est aussi savoir... la retirer. Mais c'est peut-être un humour trop décalé pour sortir ça à une première rencontre.

Je ris un peu à ses paroles, lorsqu'il dit que mon nom lui a semblé norvégien. C'est vrai qu'on peut facilement faire un peu plus... "international" niveau prononciation, et qu'écrit, ça passe définitivement pour quelque chose de nordique. Mais je ne m'en formalise pas : on peut dire que j'ai également la tête de l'emploi. Je n'ajoute rien de plus, avant de rire à nouveau lorsqu'il compare notre climat à celui de son pays d'origine.

- Oui, je pense qu'il y a des endroits trop... disons qu'on a sans doute besoin de s'y habituer très jeune. À vrai dire c'est la première fois que je déménage hors de Tromsø. C'est presque tropical pour moi, ici !

Évidemment, je ris un peu en disant cela. C'est vrai que je ne suis pas non plus en t-shirt, mais... on est clairement moins couverts. La neige n'avait pas encore fondue, lorsqu'on est partis.

- Enfin, j'ai pas mal voyagé avec m... my partner, qui est pilote de ligne. Ça a quelques avantages. On a fait quasiment toute l'Europe, l'Amérique du Nord... on profite pas mal.

Et même maintenant avec les enfants, on prévoit la Nouvelle-Zélande d'ici un an ou deux. On hésite encore sur la saison. Bref, toutes les destinations que je n'aurais jamais pu rêver avec un salaire d'infirmier. Et si je me suis retenu sur la désignation de mon mari, remplaçant in extremis "my husband" par "my partner" c'est pour des raisons évidentes, de... de je ne sais même pas quoi, en fait. J'ai toujours du mal à l'assumer totalement et sans détour devant des gens que je ne connais pas assez bien. Je ne m'en cache pas, mais je préfère ne pas être trop direct. Svein, lui, est plus que cash. Il est tellement l'inverse de moi que c'est à se demander comment ça a pu marcher entre nous.

De toute façon, apparemment, mon interlocuteur aussi semble ne pas tout me dévoiler. Je ne lui en veux pas et puis... je n'ai même pas envie de creuser plus profondément que ça. Je me contente alors de hocher la tête en souriant poliment.

- Je comprends.

Heureusement, il semble aussi gêné que moi de la tournure de la conversation et change aussitôt de sujet.

- Et bien, ma foi... c'est plein de rebondissements la vie en ville, mais je crois que je vais réussir à m'y faire ! Et vous, à part le froid, comment vous trouvez la Norvège ?

J'aime beaucoup voyager, et pour ça le métier de Svein n'offre que du bonheur. Avant de le rencontrer, je n'avais jamais vraiment quitté la Scandinavie. J'avais été à Londres avec mes parents, ce genre de chose, mais nous n'avions jamais fait de vraiment gros voyages de vacances à l'étranger. Non, c'est mon mari, à l'époque où nous étions encore que des "petits amis", qui m'a donné ce goût là. Les grandes capitales européennes pour le weekend, puis des vacances au Canada, aux Antilles... maintenant, je ne me verrais plus ne pas voyager. Mais un norvégien du nord reste un norvégien du nord, et la chaleur, j'ai quand-même du mal à supporter. Alors je ris un peu.

- Oui, ça va, on n'est pas encore sous les tropiques, ça reste supportable !

C'est vrai que si voyager de nos jours est quelque chose d'accessible à qui veut s'en donner l'occasion, voyager autant que nous le faisons reste assez rare. Mes parents se payaient un voyage à l'étranger tous les deux ou trois ans, en dehors de leur travail, et ce n'était jamais très très loin ou très exotique non plus. Alors c'est vrai que vu comme ça... je ris à nouveau.

- La cuisine ! Si je me lance dans autre chose que les pâtes, ça devient immangeable... et quand je dis pâtes, je suppose qu'un italien ne voudrait pas y goûter non plus.

Oui, voilà, je me contente de plonger le paquet dans l'eau bouillante et ça cuit le temps de distribuer le ketchup aux enfants. Quand c'est moi qui cuisine, ils ont le droit à ce genre de truc... pour faire passer le goût. C'est vrai que même si c'est juste des nouilles, c'est tout de suite pas pareil quand c'est Svein qui s'en charge. Non vraiment, la cuisine et moi... un jour mon mari va rentrer et nous retrouver empoisonnés par des spaghetti.

- Oui, ça peut se comprendre... c'est assez radical, comme changement. Surtout si c'est elle qui vous a suivi pour le travail, j'imagine ?

On pourrait dire pareil pour moi. J'ai suivi mon homme, et peut-être qu'on aurait dû le faire il y a longtemps. Pour autant, je m'y fais, je crois, à Oslo. Disons que je m'attendais à pire. Mon sourire s'élargit d'un seul coup à sa dernière question. Le regard pétillant impossible à cacher pour tout parent fier de sa progéniture.

- Oui ! Trois ! Et vous ?

Je supposais que non. D'expérience, même quand on a des enfants en dehors du mariage, les gens ont tendance à définir l'autre parent avec un terme plus élevé que "petit(e) ami(e)". Mais on ne sait jamais !

On arrivait à ma voiture, je sortais les clés pour ouvrir la portière avant de me tourner vers Joshua :

- Je vous dépose quelque part ?

La conversation suivait son cours. Je ne sais pas trop qui suivait l'autre une fois dans la rue, mais il faut croire que nous allions tous deux dans la même direction, puisque je me trouvais devant ma voiture, et lui au bout de sa rue. On se quittait là-dessus, avec le sourire. J'étais plutôt confiant, certain qu'il reviendrait. J'espérais ne pas me tromper sur ce coup là, en tout cas.

Finalement, ça avait été un cours sympa. Peut-être pas autant d'élèves que je ne l'aurais souhaité, mais suffisamment pour pouvoir maintenir ce cours assez longtemps pour en avoir d'autres. Je pense en tout cas qu'ils vont revenir, peut-être en parler autour d'eux, et ça, c'est vraiment une bonne chose.

Je démarrais le sourire aux lèvres, bien détendu après ma séance sportive (même si je m'étais moins dépensé que mes élèves), heureux d'avoir suivi les conseils de Svein qui m'avait poussé à le faire alors que je n'y croyais pas vraiment. Je suis sûr qu'il va encore se moquer de moi à base d'un "tu vois, je t'avais dit que ça se passerait bien!". Aller, il est temps de rentrer à la maison, de prendre une bonne douche, et de mettre les enfants au lit.

The End o/