Self-Defense (Jeon Jungkook)

Il n'existe pas un art "martial" qui ne se dise pas "de défense". Pourtant, tous (sauf un), comportent dans leurs techniques des attaques, dans leurs pratiques des compétitions, et dans leurs philosophies un esprit vaillant, presque conquérant. Au moins, dans le terme "self-defense", il n'y a pas d'équivoque. On fait ça pour soi, pas pour gagner, juste pour se défendre. D'ailleurs, c'est un public différent aussi. Souvent une majorité de femmes, parfois des personnes qui ont déjà été victimes. En ça, il faut souvent faire attention au choix des mots et des situations.

Il n'y avait pas trop de monde, c'était pas plus mal. Suffisamment pour faire des groupes, mais pas trop pour ne pas en larguer la moitié en cours de route. L'une des personnes présente me saluait poliment, je faisais de même avant d'inviter tout le monde à se rassembler. Je pris une grande inspiration parce que... les discours d'entrée, c'est franchement pas mon fort.

- Bonjour à tous, merci d'être venus. Je m'appelle Ørjan Jakobsen et c'est moi qui vais vous faire cours aujourd'hui. Alors... je vois que la plupart d'entre vous sont venus en tenue de sport, et c'est très bien. Pour des raisons logiques de santé et de sécurité, on fera des échauffements et des étirements à chaque fois avant de commencer. Par contre, évidemment, en situation réelle, on n'est rarement, sinon jamais, habillé comme il faudrait ni bien échauffé. Donc ma foi, si vous venez en jean, ou même en jupe, ça ne posera pas de problème en soi. Par contre, pour des raisons de sécurité essentiellement, je vous demanderais quand-même de porter des vêtements qui n'entravent pas vos mouvements. Alors on perdra peut-être un peu en réalisme, mais le but essentiel de ces leçons c'est tout de même d'acquérir des réflexes en situation, disons, délicate, donc normalement, en baskets ou en talons, les outils que je mettrais à votre disposition seront globalement les mêmes. Des questions avant de commencer ?

Après un petit échauffement (on n'est pas non plus là pour faire un réel entraînement sportif), je reprends le petit discours habituel lorsqu'on aborde toujours en self-defense. C'est à la fois une question légale, mais aussi de sécurité. En bref : tout ce qu'on va voir ici n'est à utiliser qu'en cas où il est impossible de faire autrement. Dans tous les autres cas, le seul et unique moyen de se sortir d'une situation de danger... est de courir. Oui, la self-defense, c'est lâche. Première possibilité : fuir. Deuxième possibilité : foutre une baffe (ou un coup bien placé dans les roubignoles) pour déstabiliser, et fuir. Par conséquent, ce qu'on va aborder dans le cours n'arrive qu'à la troisième possibilité : quand on ne peut pas fuir.

- Alors, dans les cas où il est impossible de fuir, il faut apprendre à compter. Globalement, compter les bras et les jambes. Si la personne qui vous agresse vous agrippe votre sac ou votre blouson, avec ses deux mains, celles-ci sont occupées. Il ne lui reste donc plus que deux jambes pour éventuellement vous attaquer. Vous, dans ce cas de figure, vous avez vos deux bras, et vos deux jambes. Quatre contre deux, vous avez l'avantage. Compter permet souvent aussi de se calmer un petit peu, d'inverser les rôles. Si on vous prend à la gorge, c'est pareil. Évidemment, ça fait peur, c'est une situation de stress, mais, contrairement à ce qu'on pourrait penser, on a l'avantage. Quelqu'un qui a un couteau va souvent se concentrer uniquement sur le couteau, mais si on reprend le principe de comptage, on est à quatre contre trois. Surtout, il faut garder en tête que souvent, la personne qui va vous agresser va le faire pour une raison précise, comme un sac, de l'argent, n'importe quoi... ses pensées seront uniquement focalisées là-dessus. La difficulté pour vous sera de voir au-delà. C'est pour ça qu'on compte. On va donc passer au premier exercice, simple, quelqu'un qui vous attrape par le bras. Alors vous allez vous mettre deux par deux, vous vous mettez d'accord pour qui fait quoi, et je vous montre.

Les participants étant en nombre impairs et l'un d'eux s'étant retrouvé seul, je me dirige vers lui avec un sourire bienveillant. Il s'agissait du petit jeune qui m'avait salué en début de cours. Pour montrer l'exemple et donner les explications, je lui demande de me saisir par le poignet, et de ne pas hésiter à être réaliste, c'est-à-dire de serrer aussi fort qu'il veut.

C’est cette troisième possibilité qui m’intéresse le plus , lorsqu’on ne peut pas fuir. Ça m’est arrivé il y a peu de temps, lorsqu’un client était assit sur moi et me serrait la gorge. Je ne me souviens même pas comment j’ai réussi à me tirer de là mais je suis bien content que ça soit le cas. Mourir à poil dans une des chambres du club est tout en bas dans la liste de mes priorités. J’écoute attentivement ses explications puis lorsqu’il faut former des duos je me retrouve bêtement tout seul. Heureusement l’instructeur vient vers moi. Enfin … J’espère qu’il ne va pas y aller trop fort avec moi ! Je fais ce qu’il me demande, saisissant son poignet en serrant modérément puis j’attends de voir ce qu’il va faire, me préparant à encaisser une chute si besoin parce qu’il ne faut pas que je me fasse mal. Après tout mon corps est mon outil de travail.

La self-defense, c'est souvent ça. Apprendre à se dégager d'une prise. C'est plus une question de confiance en soi que de vraiment pouvoir y arriver si malheureusement ce jour arrive. Ces gestes sont des réflexes à acquérir, et il est rare de réussir à les mettre en oeuvre devant une situation de stress. Il faut que ça devienne mécanique, irréfléchi. Mais ce qui est vraiment le plus compliqué dans l'histoire, c'est d'essayer d'avoir un minimum de réalisme dans une salle de sport. Je souris au garçon qui me saisissait par le poignet comme je le lui avais demandé, lui suggérant d'y aller vraiment comme s'il voulait m'emmener de force quelque part. Niveau corpulence, je suis pas non plus une montagne de muscles, mais cet élève était pour ainsi dire une crevette. Oui, le réalisme, c'est vraiment la partie la plus difficile. Je relève ensuite la tête vers l'assemblée pour repartir dans un discours, qui, je l'espère, ne sera pas jugé trop long :

- Alors déjà, première chose, quelque soit la situation dans laquelle on se trouve... on met un coup. Pas forcément pour faire mal, juste pour surprendre. Le but est de créer un temps de latence pour pouvoir agir, et s'enfuir. Comme je le disais tout à l'heure... on compte. J'ai une main prise, ça m'en fait une autre. Lui aussi, on est donc à égalité. Alors cette main de libre on s'en sert d'abord pour surprendre.

Avant de m'exécuter, je souris au gamin qui me tient par le poignet, avant de lui envoyer un petit soufflet devant les yeux. Je l'effleure à peine, le but n'est ni de faire mal ni de faire peur, juste de montrer. Je continue ensuite les explications.

- Il faut savoir que physiquement, un poignet n'a pas tout à fait la même circonférence quand le poing est ouvert ou fermé. C'est contre-intuitif, mais la première chose à faire pour se dégager, est d'ouvrir la main.

Pour l'exemple, je lève mon bras entravé pour que tout le monde puisse voir, et ouvre la main.

- Ensuite, on va vers la faiblesse de la prise. Dans ce cas de figure, entre le majeur et le pouce. Si besoin, on tournera notre propre pouce vers cette faiblesse, pour se dégager plus facilement.

Le bras toujours en l'air, je désigne d'abord les doigts de mon "agresseur", puis tourne mon poignet de manière à ce que mon pouce montre "la sortie". Le gros de l'os du poignet ainsi mis en avant permet d'opposer une force supplémentaire.

- Donc je récapitule : un, la diversion avec la main libre. Deux, j'ouvre la main entravée. Trois, je me dégage du côté de la faiblesse. Évidemment, il faut aller très vite, sinon, la personne qui vous saisit aura le temps de resserrer sa prise. Et il ne faut pas hésiter, si nécessaire à s'aider à tirer avec sa main libre, pour avoir plus de force. Une fois que c'est fait, on réfléchit pas, on court. C'est bon pour tout le monde ?

Une dernière démonstration avant la pratique, une fois lentement, puis une fois rapidement. Je remercie le participant, avant d'inverser les rôles et de le saisir à mon tour par le poignet. Ayant les mains largement plus larges que son avant-bras, l'exercice aura au moins l'avantage de paraître plus réaliste pour lui.

La difficulté avec cet exercice, outre d'acquérir le réflexe nécessaire (en situation réelle, la personne qui agresse ne va pas s'amuser à attendre que la mémoire nous revienne...), c'est que dans la théorie c'est bien beau, mais dans la pratique... J'attrapais le poignet du participant avec une facilité déconcertante, il était mince, et ma main l'enveloppait complètement, si bien que mon pouce se refermait aussi sur mes propres doigts. Ainsi, "l'ouverture" que j'avais annoncée et montrée lors des explications se retrouvait être renforcée. L'avantage avec ce genre de chose, c'est que la force est inutile. Encore une fois, c'est une question de réflexe, mais aussi et surtout de rapidité. Comme en taekwon-do, il faut une accélération, un genre de "coup de fouet". Ce qu'on appelle tirer d'un coup, exactement comme lorsqu'on retire une nappe sans faire bouger la porcelaine bien dressée sur la table. Troubler l'adversaire avec un premier geste de déstabilisation, et surtout se servir de ses deux mains dans ce cas de figure, est essentiel pour parvenir à ses fins. Autre petit détail : bien placer ses jambes de manière à être stable, et ne pas hésiter à se laisser emporter par le geste, pour faciliter la fuite.

Je passe voir un peu tout le monde pour préciser les gestes et répondre à certaines questions. J'hésite ensuite à aborder d'autres cas de figures qui impliqueraient d'autres mouvements. J'imagine que ça donnerait de la matière au cours, mais j'ai peur que ça fasse trop à retenir et que ça finisse par embrouiller tout le monde. Le but étant d'acquérir les bons réflexes, je ne sais pas trop si c'est une bonne idée. Je décide donc de rester sur le même exercice, mais en situation un peu plus réaliste :

- Bon alors maintenant, ce qu'on va faire, c'est se promener tranquillement dans la salle. Je ne vous dis pas quoi faire ni quand, on va juste tester les réflexes. Chacun de vous peut tenter d'attraper n'importe quel autre, par le poignet, comme on vient de le voir. Essayez de faire en sorte d'être le plus réaliste possible, mais évitez quand-même de vous faire mal. La personne qui se fait attraper doit réagir exactement comme on l'a vu, à savoir pour rappel : petit coup de distraction, main ouverte, dégagement du côté "faible", avec les deux mains s'il le faut, et fuite.

Je demande s'il y a des questions, mais comme ce n'est pas le cas, je les laisse déambuler avant de me mêler moi aussi à la "foule". Y'a pas de raison que je ne participe pas !

Il est difficile de rendre des situations "réelles" dans le cadre de la self-defense. On s'en rapproche du mieux qu'on peut, mais ça n'est jamais vraiment le cas. Dans une ambiance confinée et amicale d'une salle de sport, on est loin de la ruelle sombre quand on rentre d'une soirée un peu éméché. Mais on peut au moins essayer de faire naître certains réflexes, parce que c'est surtout ça, se défendre. Réagir, et réagir très vite. Réagir sans réfléchir. Un temps de latence, et ça peut être trop tard.

C'est ça aussi, la self-defense. Faire comprendre à ses élèves qu'il ne faut pas tenter l'impossible, les préparer au pire, tout en essayant de relativiser, puisqu'ils n'auront probablement jamais, et on l'espère, à s'en servir. C'est souvent une question de confiance en soi. C'est plus facile, de marcher la nuit dans les rues désertes, la tête haute. C'est aussi une attitude, la self-defense.

Le cours se termine et je remercie tous les participants, tout en leur rappelant les principes de la discipline, espérant les revoir à la prochaine rencontre. Je réponds aux dernières questions, leur demande aussi s'il y a certaines situations précises qu'ils voudraient qu'on travaille la prochaine fois, ce genre de choses. Je suis content de ce qu'il en ressort, en tout cas, et j'ai hâte de pouvoir continuer ce genre de petit séminaire.