Apprendre à viser, c'est pas compliqué

Je fixe la cible en papier sur le montant et l'envoie dix mètres plus loin d'une pression sur le bouton de commande. J'ai fait ce geste tellement de fois que même mort, je le ferai encore. Le type du pas d'à côté faisait feu à son tour et me rappelais par la même occasion que nous n'étions pas en plein air. Le bruit des déflagrations se répercutaient sur les murs de l'usine et me vrillaient les oreilles au point que j'en enfilais immédiatement le casque sur mes oreilles, histoire de pas être sourd avant mes 800 ans.  Tirer m'était aussi aisé que respirer, mais même en vacances je me devais de continuer à m'entrainer.  Manquerait plus que je me fasse bouffer par un garou ou un démon à cause de réflexes rouillés… Au moins y'aurait de quoi faire une épitaphe unique : "ci gît Nils Hróaldrsson, servant désormais de smoothie à un suceur de sang organiste par temps d'orage. Sa flemme l'emporta plus vite que son cancer des poumons."  

Je prenais mon 9mm posé à coté et remontais la glissière en place avant d'insérer un chargeur. Balles standards pour l'entrainement, inutile de gâcher des munitions spéciales sur une cible en papier. Et en plus je vous raconte pas la galère pour expliquer de façon rationnelle le pourquoi de balles en argent…
Tir d'exercice tout d'abord, en prenant le temps de replacer mes mains dans la position de tir avant de faire feu à nouveau. Après avoir expédié la moitié du chargeur, je neutralisais l'arme et ramenais la cible pour la changer. 98% de réussite, pas mal mais peu mieux faire. Nouvelle feuille, et nouvel exercice : cette fois le tir rapide en rafales successives. C'était fini en quelques secondes. Être plus rapide signifiait aussi être moins précis, et j'atteignais à peine 90% cette fois. L'ensemble restait correct alors je sortais l'artillerie. Un revolver chambré en magnum pour tout ce qui était trop résistant pour un calibre plus léger. Et si c'était toujours en vie après ça, il fallait employer un lance-roquettes. Dont l'utilisation était étrangement était plutôt mal vue en public… Une arme de poing avec le pouvoir d'arrêt d'un fusil à pompe, mais à la maniabilité et à la cadence de tir réduite. Il fallait donc bien savoir s'en servir avant de l'emmener sur le terrain sous peine de finir en snack, ou pire.  

Si je pouvais mieux compenser le recul de l'arme que les humains, il me fallait encore gagner en vitesse d'exécution. Je chargeais le barillet pendant que la troisième cible partait vers son emplacement et remarquais alors le grand silence qui s'était installé. Plus aucun bruit ne filtrait à travers le casque, indiquant que j'étais le seul encore présent. J'haussais les épaules en me disant qu'au moins je serais tranquille.
Une après une, les six balles réduisaient en charpie le bout de papier. J'allais poser mon arme lorsqu'un tir partait et venait percer ma cible dans un coin. Abaissant la protection auditive autour du cou, je sortais hors du box en allant chercher l'abruti qui s'était trompé. Je n'étais pas si seul que ça apparemment. Je tombais finalement sur un freluquet qui avait l'air aussi à l'aise avec un pistolet qu'avec un marteau piqueur. Il ne m'avait même pas capté…

- Hé le geek ! Je lui tapais sur l'épaule pour qu'il se retrouve. Une cible c'est comme une femme : avant de la partager, la politesse c'est au moins de demander !

Normalement, à la Section 45, on est tous, sans exception, supposés savoir se servir d'une arme. À ce titre, on dispose même d'un permis de port d'arme, même si chez les techniciens, rares sont ceux qui en ont une. On est juste entraîné au tir, c'est tout. Sans exception, j'ai dit ? Non, il en faut toujours une. C'est moi, et c'est une des raisons pour lesquelles je ne m'entraîne jamais au QG. Ça se saurait vite, que j'ai pas l'habileté requise... pourtant je fais du tir à l'arc depuis que je suis gosse, et là, aucun problème. Aucun recul et aucun bruit de malade non plus, vous me direz...

Je sais pas ce qui m'a pris de venir ici. Sérieux, pour prouver quoi ? Le problème allait pas se régler tout seul dans mon sommeil ! Bon, il allait se régler avec de l'entraînement, c'est évident, mais quand-même. Merde, je sais pas ce que je fous ici. J'aurais pas dû. La résonance me met encore plus mal à l'aise, comme si avoir une arme à feu entre les mains suffisait pas. Un Glock 23, le genre de truc dont je suis certain que Nivahriin le qualifierait de flingue pour fillette. "Faible recul" qu'ils disent. Putain, trois tirs et j'ai déjà l'épaule en charpie... Et une cible à peine chiffonnée. Bon, j'exagère, y'a bien deux trous dedans, aller... Un en haut, un en bas. Magnifique. J'aurais une corde d'arc entre les doigts, je les aurais mises en plein centre, bordel.

Je soupire, rajuste mon casque (merde, c'est ça, une insonorisation?) et tente une nouvelle expérience. Ouais, normalement, faut tenir l'arme à deux mains, la gauche sur la gâchette, la droite en dessous et nianiania. Va te faire foutre, mon arme à moi, c'est l'arc. Alors tentons la même position qu'avec un arc, sait-on jamais.

... Fausse bonne idée. Avec le putain de recul (et la grosse voix du lézard qui s'élève dans mon imagination pour me répéter encore que c'est une arme de blondinette avec des couettes), mon bras est totalement désaxé et...

Et ouais, bah merde, mais j'ai quand-même touché une cible, putain ! Je me retourne quand le sans doute possesseur de la cible se manifeste. Et... je reste sur le cul. Presque littéralement.

Qu'est-ce qu'il fout là, lui, bordel ? Le boss m'a refilé y'a quelques semaines une liste de candidats potentiels pour le prochain recrutement, et celui-ci fait partie de ceux que j'ai gardé après une surveillance accrue. Comment j'ai pu ne pas me rendre compte qu'il était là ?!

Je retire mon casque une fois mes esprits à moitié recouvrés. J'ai aucune idée de ce qu'il a dit, mais... quitte à passer pour un con, autant le faire bien.

- J'vous ai fait mal ?

À l'ego, peut-être. Il doit pas être du genre à apprécier regarder sa cible avec les vestiges d'une balle un peu trop excentrée.

Il me faisait presque rire. Mais il me faisais surtout bouillonner de colère. Heureusement que le mélange restait sous contrôle, sans quoi je lui aurait mis des baffes en riant… "J'vous ai fait mal ?" Non mais à ton avis p'tit con, pourquoi y'a des parois entre les stands ? Pour protéger les gens de types comme toi !

- Si tu m'as fait mal ? Bordel mais t'entend aussi bien que tu vises ! Fais gaffe merde, t'aurais pu buter quelqu'un ! C'est pas Call of ou ton club de painball ici, là t'as de vraies balles qui tuent pour de vrai, alors choisis un calibre plus petit au lieu de faire le malin ! Je remarquais alors que l'arme du presque crime. Ce type avait eu du mal à gérer le recul d'un 23… Plus petit que ça c'était la carabine à air comprimé ou le lance-pierres… Ce manque évident de technique, d'entrainement et de connaissances me calmait néanmoins. A quoi bon s'énerver, le gamin ne l'avait pas fait exprès après tout, et s'il y avait bien un endroit pour apprendre c'était ici. Montre moi tes mains. Pas mal nul part ? C'est déjà ça. Je prenais son arme et la déchargeais complètement, gardant la balle de la chambre entre mes doigts. Ton flingue va pas te bouffer, surtout un tout mignon comme le tiens, alors tu l'empoigne de toute la force dont sont capables tes petits bras et tu le tiens fermement.  Voilà comme ça. Je prenais la balle entre mes dents pour placer ses paluches correctement sur la crosse. Il me rappelais les conscrits des siècles précédents. La seule utilité que je leur avait trouvé sur le champ de bataille était de prendre des balles qui m'était destinés, et c'est à peu près tout ce que les pauvres bougres savaient faire… Maintenant tu fais feu. Oui je sais parfaitement bien que ça va rien faire puisque je viens d'en enlever les parties dangereuses, din jävla idiot ! Je veux juste que tu appuie sur cette gâchette pour voir si tu vas te barrer en courant dès que la culasse va bouger ou non, et ensuite je te rendrais tes munitions.

Ce que j'avais dis comme une connerie s'avérait être pourtant presque vrai. Au moment où la glissière se bloquait en arrière pour indiquer le manque de cartouche, le gamin affichait une pâleur digne d'un vampire à la diète depuis des siècles. Ils les prenaient à la maternelle pour l'école de police ou quoi ? C'était la seule explication quand à sa possession d'une arme qu'il ne maitrisait pas et n'avait visiblement pas vraiment envie de maitriser. Il devait être un de ces geek au service de la police et avait décidé de dépoussiérer son arme de service, en plombant ma cible au passage. Est-ce que je m'amusais à cracker des ordi moi ? Non, j'en restais à ce que je savais faire. Alors qu'il fasse pareil et tout le monde s'en portera bien et surtout restera en vie…

- Surveille ta position. Avance ta jambe d'appui, recule un peu l'autre… Voilà. Je replaçais la balle libre dans le chargeur et rendais son arme mortellement dangereuse pour tout le monde présent. Bien ; maintenant feuer frei. Je sortais un corona d'une poche cargo et l'allumais avec le même zippo qui me suivait depuis près de 80 ans. Il avait vu du pays celui-là, et ça se voyait… J'écoutais simplement, et je n'avais pas besoin de voir les flashs pour les apercevoir malgré mes yeux fermés. Je secouais la tête avant de commencer à voir des fantômes du passé et adressais un petit sourire au geek. Voilà la base. Et pour l'amour de ton saint wifi la prochaine fois ne sort pas de ton commissariat armé ou tu va blesser quelqu'un !

Là-dessus je retournais changer la cible qu'il m'avait foutu en l'air. C'est j'avais à m'entrainer moi aussi..

Pour être un nain, le bonhomme, c'est sacrément un nain. D'abord il me pique une crise parce que sa pauvre petite cible a été blessée à un endroit inopportun, ensuite il bougonne et me prend sous son aile. Enfin, heureusement, un nain, ça n'a pas d'aile. Trop peu angélique pour ça. Pis un nain volant, ça serait... ça serait génial, en fait. Un jour, je le ferais participer à un concours de lancers de nains. J'espère qu'il est assez petit pour concourir.

Je soupire à sa première remarque, c'est vrai que je pourrais éviter de tirer avec des vraies balles, mais... faut bien que je remplisse un petit quota de temps en temps pour renforcer ma crédibilité auprès de l'agence. On est supposés s'entraîner régulièrement, alors on nous refile des balles de temps en temps. Du coup, j'en ai la blinde qui traîne, alors... faut bien en faire quelque chose. J'ai bien pensé à les revendre, mais je veux pas connaître la réaction de J si un jour on récupérait une balle de la Section 45 dans le corps d'un membre de gang sur la côte ouest des USA.

Je le laissais faire, à moitié ahuri mais surtout curieux de voir la suite (s'il savait que j'en profitais pour continuer mon petit boulot sur sa personne... hum, j'serais mort?), à me tripoter les mains et me vider mon chargeur, tout en faisant des déductions loin d'être bêtes quant à ma fonction et les raisons de ma présence. Ouais, il le sait pas encore, mais remonte dans la liste, le petit. Nonchalamment, comme si y'avait rien de plus normal, il parlait une balle entre les dents pour positionner mes mains correctement sur le manche. C'est vrai qu'il y avait une légère différence avec ce que je faisais, mais... était-ce si important ? Sans doute. Après tout, vu son âge, je laisse faire le vieux sage. Et puis ça passe, même si je suis pas censé savoir. Il est plus vieux que moi, ça se voit.

C'était presque énervant, de se faire donner une leçon pareille. J'veux dire, la théorie, je connais. C'est même quasiment mon domaine. Je peux apprendre les théories de ce que vous voulez, quand vous voulez. Alors oui, je sais, en théorie, comment positionner de mes doigts de pieds jusqu'à mon dernier cheveux, et si ça avait été quelqu'un d'autre, sans doute que j'aurai râlé et insulté copieusement sa race, au schtroumpf. Mais je fais le bon élève bien attentif, même si tout ça me met pas vraiment à l'aise. Parce que la théorie, c'est aussi la loi de Murphy, et que même si cette loi peut être inversée (que tout ce qui peut se passer de bien se passera bien), et que je veux bien faire confiance à cinq siècles d'utilisation d'armes en tout genre, n'empêche que, si ça se trouve, il reste un truc, dans ce flingue. Oui, dans ce flingue qui sert jamais mais qui est très bien nettoyé parce que la théorie, c'est tout ce que je sais faire, et que monter et démonter des trucs, c'est pas mal fun en soi. N'empêche que. J'aime pas les armes à feu, et j'ai pas envie que celle-ci m'explose entre les mains. Même si y'a pas de raison. Pis y'a toujours une raison, merde.

Euh, je rêve où... il vient de s'allumer un putain de cigare dans une salle de tir, là ? Ouais, bon, en fait ça m'étonne pas vraiment, j'ai largement eu le temps d'observer ses habitudes, mais là je dois dire que ça me la coupait.

Finalement après toute cette observation et ce stress, j'éclate de rire. Au moins, j'aurais pas perdu mon temps de venir ici. Je crois que je l'aime bien, l'Oakenshield. Je repose mon arme une seconde pour remettre mon casque anti-bruit, et tentais de mettre les conseils en pratique. Je me place comme il m'a dit, les bras comme il m'a dit... je tente ce que je peux niveau respiration... et bordel, ça veut pas. Quand ça veut pas, ça veut pas. Pourquoi, j'en sais rien. Jamais eu ce problème avec un arc.

Bon aller. Je finis ce chargeur, et j'arrête. Ouais... ça fait beaucoup de balles, tout ça. J'y arriverais jamais. Bon. Au moins, pas partir sur un échec... on va au moins essayer une fois ou deux. Putain, depuis quand je revois mes objectifs à la baisse comme ça ? C'est pas mon genre, de m'avouer vaincu. Enfin, les flingues non plus, c'est pas mon genre. M'enfin, au moins, y'a personne de l'agence pour se foutre de ma gueule. Oups, on dirait bien que le nain vient de descendre dans la liste des recommandations. Heureusement pour lui, c'est pas non plus mon genre de faire ça. Et puis il a déjà compris l'essentiel de mon job, alors...

Alors avec tout ça, j'ai toujours pas appuyé sur la gâchette. Enfin, maintenant, si. Mais je crois que fermer les yeux et bloquer ma respiration au même moment, c'était pas une bonne idée. Enfin, ça va, c'est une salle de tir. Si tout le monde respecte les zones de sécurité, y'a pas de raison de se prendre une balle perdue. Même la mienne.

Oh. J'ai touché. La cible, je veux dire. Enfin, le papier, en tout cas, parce que la cible dessinée dessus, pas franchement. J'suis sûr que si c'était cette connasse de Nilsen dessus, j'y arriverais déjà mieux. Voir elle la cible tout court, en fait. C'est clair que je fermerais pas les yeux, si c'était elle.

J'allais recommencer, mais heureusement que je cogitais encore trop à ce moment là, parce que je suis soudain pris d'une violente quinte de toux. Putain, ça faisait longtemps, tiens. J'essaie de reprendre ma respiration avant de reprendre mon arme entre les mains. Une ou deux légères toux ressortent, mais ça va. Je tiens la position, j'ai les yeux ouverts, je vise à priori au bon endroit...

Et je soupire en rebaissant mon arme. Et ça m'énerve. Vraiment. Je suis pas du genre à laisser tomber, c'est même parfois un défaut, dans mon cas. Je laisse jamais tomber.

Aller, nouvelle méthode. La dernière, sinon je sens qu'il va y avoir une première fois à tout, et il s'agira là d'abandonner. Je recule d'un pas vers l'arrière, un autre sur la gauche, pour caler mon bras contre la paroi qui le sépare du couloir d'à côté. Au moins avec ça, je devrais gérer le recul. Je me concentre sur la respiration, garde les yeux ouverts... et...

- DITT EPLE PIKKEHUE HESTKUK SKIT DRITTSEKK FANKEN FY FILLERN RÆVHÅL KUKTRYNE ROVDYRKJEFT !!!

Ou un joli florilège de jurons exprimant la douleur que je ressens à cet instant après m'être passablement violemment "cogné" le bras contre ladite paroi. Heureusement, j'ai eu le réflexe et l'intelligence d'esprit de ne pas lâcher mon flingue à ce moment là. Malheureusement, je crois que c'est surtout pour ça que j'ai mal, bordel.

Rarement avais-je déjà entendu une aussi belle flopée d'injures de la part d'un petit bonhomme comme lui. En particulier depuis que le monde était devenu "civilisé" et surtout aussi loin d'une ligne de front. Je l'imaginais soudainement en train de tenir une tranchée, seul face à une compagnie entière, uniquement en leur lançant des cailloux à la tronche tout en les insultant copieusement. Vous seriez surpris de savoir à quel point ce serait efficace… L'image de ce nerd à lunettes portant un uniforme de la Grande Guerre et un casque brodie sur la tête était hilarante au possible. Heureusement qu'il était né à une époque un peu plus calme et à la technologie bien plus avancée : sans ordinateur il aurait fini fantassin, et son propre capitaine lui aurait confisqué son fusil plutôt que de laisser mettre en danger tout le monde ; et pas besoin d'expliquer pourquoi faire la guerre sans arme est un tantinet plus dangereux que de la faire en étant au contraire armé jusqu'aux dents…

Je remettais donc le 44 dans son holster et allais voir ce qu'il se passait. Je sentais que la séance d'entrainement allait passer de "battre le record de tir sur cible" a "tentons de lui montrer comment ne pas se tuer involontairement", alors plus besoin de préparer une arme.

- Mais qu'est-ce que t'as foutu bordel ?! Je le voyais masser son bras et comprenais la raison de sa douleur. Je t'ai pas dis de tirer comme ça ! T'a qu'à prendre un trépied la prochaine fois ! C'est un pistolet à eau qu'il te faut ou bien ? Sans déconner, déjà que tu débutes, mais si en plus t'écoute rien tu vas vraiment réussir par te faire mal pour de bon. C'est ça que tu veux ? T'arracher le pouce avec la glissière ? Te péter le nez avec le bout du canon ? Avaler une douille peut-être ? C'est sûr qu'encore chaude y'aura rien de mieux pour te sceller l'estomac !

Énervé après lui comme après un ado en pleine crise n'en faisant qu'à sa tête, je lui prenais le pistolet des mains en bougonnant et vidais le chargeur sur la cible que le jeune essayait de toucher depuis  plusieurs minutes.


- C'est quand même pas compliqué non ? Je me retournais et lui tendais son arme. Je vise, j'appuie sur la gâchette et PAN ! Utiliser un flingue c'est comme conduire une voiture ou dresser un animal : si t'en a peur, tu peux rien en faire. Alors puisque t'arrive pas à amadouer un petit calibre avec des balles à l'intérieur, ce serait bien pour tout le monde que tu prenne le coup avant d'y remettre des munitions réelles. Donc tire à blanc jusqu'à ce que t'en ai plus peur et quand ce sera fait, passe aux choses dangereuses. C'est pas un jouet gamin, réfléchi merde.     

Je me faisais rarement hurler dessus de cette manière. Même jamais, à vrai dire. Mon père n'a jamais haussé le ton sur moi, et j'ai jamais vraiment fait de conneries quand j'étais gamin. Enfin, à part pirater des données et arranger les problèmes du paternel... J'ai toujours été plutôt discret, mais paradoxalement assez intimidant (ou charmant?) pour éviter ce genre de désagrément. Et puis petit à petit, en prenant du grade à la Section, j'ai aussi pris de l'assurance, et maintenant, c'est moi qui gueule sur tout le monde, envoyant des menaces à tout va et forçant mon imagination pour trouver chaque fois de nouvelles insultes, même si malheureusement, souvent, leurs conneries, elles, sont toujours les mêmes.

Pour autant, je le laissais déblatérer, n'étant pas en reste dans ma propre tête avec moi-même. Qu'est-ce qui me prenais tout d'un coup de venir m'entraîner, aussi ? Surtout ici... je suis pas taillé pour ça, ni physiquement ni moralement. Pas que j'ai quelconque problème avec les armes ou le fait de tuer... non, ça, si c'était le cas, j'aurai pu qu'à trouver un nouveau job. La vérité, c'était que je connaissais pas le fond du problème, et tant que je le trouvais pas, je risquais pas de le régler.

Massant mon bras parce que j'ai un peu peur que la même chose sur ma main soit plus douloureux, je le regarde me prendre mon Glock et se mettre à tirer... en rafale, ouais, on peut le dire. Je crois que je me ferais tuer de laisser le premier venu me prendre mon arme avec une facilité aussi déconcertante... mais bon, on dit que pour un sans doute futur collègue, ça passe, non ?

Il me rend enfin mon flingue que je réceptionne de la main droite, même si je suis gaucher, parce que définitivement, je suis pas certain de pouvoir y tenir quelque chose, surtout un truc aussi lourd que... cette arme de fillette... au chargeur vide.

- Z'avez pas un... kit de rafistolage, plutôt ?

Je commençais à lever la main gauche, autant pour lui montrer le problème que pour l'admirer moi-même. C'était aussi rouge qu'un roux après cinq minutes au soleil, aussi gonflé que l'orgueil d'un nain, et je pouvais parier que bientôt, ça allait tirer sur le bleu. J'osais pas franchement tenter de bouger les doigts. En attendant, je préférais retirer le chargeur et ranger ce truc de malheur dans sa boîte. Je ne pouvais manifestement plus utiliser ma main dominante, alors tenter avec la droite serait... pas franchement du suicide, mais plutôt nainicide. Quoi que, ça doit pas valoir le mithril ou le cuir de wyvern, mais il doit être pas mal tanné quand-même, le bonhomme. Je regrettais presque ne pas pouvoir lui faire de remarques à ce propos à voix haute... si je lui annonçais que je savais ce qu'il était, il allait se poser trop de questions, et j'allais avoir des emmerdes. Enfin peut-être. J'étais pas franchement supposé enter en contact avec les potentielles futures recrues, moi. J'avais plutôt dans l'idée de mettre Nivahriin, sur le Schtroumpf. Il parait que c'est plutôt copain avec les dragons, ces bestioles à bonnet. Et puis il valait mieux que je profite du fait qu'il puisse pas encore hurler haut et fort dans toute l'agence que j'étais une merde quand il s'agissait de tirer avec une arme à feu... Pour ce qui est du tir à l'arc, je préfère encore garder ça pour moi. Chacun ses activités persos, et plus les autres sont loin des miennes, mieux je me porte.

- Vous faites quoi dans la vie pour savoir vous servir d'un tel arsenal ? Si vous étiez militaire, vous vous trimbaleriez pas la moitié de l'armurerie comme ça dans une salle de tir de loisir...

Question inutile, je savais parfaitement ce qu'il faisait, mais quitte à être là, autant juger sa capacité à se fondre dans la masse en direct. Et puis s'il me retourne la question, je lui répondrais que je voulais pas qu'on se foute de ma gueule dans la salle du commissariat. Ce qui serait même pas tout à fait mentir, en plus.

Que lui répondre ? Que j'avais passé quelques siècles à me servir d'armes, que tout ceci était uniquement pour me donner bonne conscience et qu'au fil des années j'avais parfois combattu vampires, sorciers ou loups-garous ? Que j'avais surement tué l'un de ses ancêtres à une époque ou une autre et qu'en fait je ne savais même pas combien de personnes étaient enterrées à cause de moi ? Pas la meilleure introduction possible… Mais quand on a autant d'années derrière soi, il est facile de trouver de quoi broder sans trop mentir.

- En effet je suis pas militaire. Je l'ai été pendant longtemps, mais j'ai été démobilisé parce que je devenais trop vieux. La vérité c'est surtout que les jeunes arrivaient pas à suivre et qu'ils avaient un peu honte… Alors je suis devenu forgeron, comme mon père avant moi. Mais j'ai gardé une bonne affinité avec les armes et j'essaie de l'entretenir. A ce propos, et vu comment tu te débrouille avec une arme à feu je pourrais peut-être te forger quelque chose de plus contondant. Je le regardais plus attentivement. C'est qu'il avait pas vraiment la carrure d'un chevalier le garçon. Ni d'un archer d'ailleurs. Cinq siècles en arrière il aurait fini lancier, le genre de milice recrutée à la va-vite et parfaite pour s'entrainer en tapant dessus. Dans le genre d'une aiguille ? Avec une cotte d'écailles en alu ?

Je pouvais certes lui faire un bec de corbin à deux mains et y graver une rune de légèreté, mais à part ouvrir un tank comme une boite de conserve il allait pas y trouver beaucoup d'usage. Et puis il avait surement déjà un drone pour ça… Alors au lieu de l'équiper pour la guerre, je m'occupais de le réparer pour qu'il puisse rentrer chez lui sans trop attirer l'attention. C'est qu'il devait pas avoir pour habitude de se battre le petit, donc s'il se faisait choper avec une contusion plus grosse que lui sur le bras ça allait sûrement faire tache.
J'empoignais donc sa main et l'auscultais rapidement. En apparence un bon gros bleu qu'il allait garder quelques semaines mais rien de grave.

- J'en connais un qui va avoir du mal à cliquer pendant un moment… Mets-y de la glace dès que possible et surtout de la pommade. Tu vas douiller, mais au moins c'est pas cassé.

Le contact physique me donnait l'impression très ténue qu'il y avait un truc pas commun avec l'informaticien. Les Nains sont d'un naturel méfiant, et à en croire les légendes c'était là un don de la Terre afin que nous ne soyons jamais pris par surprise. J'écartais finalement cette alerte qui était partie aussi vite qu'elle était venue en la mettant sur le compte de mon énervement précédent. Et même s'il était malgré tout un surnaturel, gringalet comme il était j'avais pas beaucoup de soucis à me faire.


- Et toi qu'est-ce que tu viens chercher ici à part des blessures ? Doit bien y avoir un pas de tir à ton boulot, non ?

Je fronçais un peu les sourcils en écoutant le discours du nain. Je n'apprenais pas grand chose, mais c'était curieux, au XXIe siècle, d'entendre parler de forgeron. Le métier n'a pas forcément disparu, mais c'est plutôt devenu une attraction touristique plus qu'autre chose. Alors me forger une arme ? Vraiment ? En vérité, je serais super content d'avoir un truc personnalisé, ça aurait la classe en plus d'être pratique. Mais heureusement que je savais déjà plus ou moins qui ce nain était, et que tout aussi humain que je sois officiellement, je suis loin d'être en reste sur les autres créatures qui peuplent notre monde. Parce que quelqu'un qui n'est pas au courant face à ce genre de réponse serait... surpris.

J'éclate de rire à la fin de sa phrase. Une aiguille ? Honnêtement, je ne sais pas s'il s'agit du nom d'une arme médiévale qui ressemblerait vaguement à un couteau très fin ou s'il se fout de ma gueule, mais je dois dire qu'il a du répondant, et ça me plaît.

- Je crois qu'à moins qu'il y ait un festival viking dans lequel passer inaperçu, on va éviter la cotte d'écailles.

Je le laisse regarder le résultat de ma dernière expérience de tir sans broncher. C'est douloureux, mais à force de passer par tous les hôpitaux, on se fait à ce genre de chose. Même si c'est vrai que je ne me blesse pas souvent. Je dois pas assez faire "d'exercice" pour ça. Je suis d'ailleurs sûr que le petit nain en face de moi se foutrait de ma gueule en me disant que ce n'est ni un sport, ni une arme, si je lui sortais que je faisais du tir à l'arc. Mais on va éviter. Déjà parce qu'en tant que futur collègue potentiel il est hors de question qu'il apprenne à quoi je m'adonne sur mon temps libre en dehors des jeux vidéos, et surtout parce qu'il a déjà assez de matière pour se moquer de moi encore les cinq cent prochaines années.

Je souriais à ses conseils, c'était certainement ce que j'aurai fait de toute façon en rentrant. Un bandage glacé, voilà ce qu'il me faudrait. Mais je soupire un peu aussi, ça va être chiant de bosser, et de jouer, si ça dégonfle pas rapidement... Je relève les yeux quand il me retourne la question, et lâche un léger rictus moqueur, destiné à moi-même.

- Oh, oui, y'en a un. Mieux équipé, même. Mais je crois qu'il est inutile de refaire une démonstration... Vaut mieux que mes collègues restent dans l'ignorance. Pour leur propre... bien-être.

Quoi que... je pourrais leur faire peur à sortir mon arme au quart de tour. Mais bon, je suis pas américain, moi. J'ai pas ce genre de réflexe. Et puis bon, j'ai déjà plus de moyens de pression qu'il n'en faut.

Je contemplais à nouveau l'état de ma main, sans oser en bouger les doigts, l'air blasé.

- Bon... ben j'ai plus qu'à trouver une histoire épique à base de lutte à mort contre une... crevette acharnée, pour expliquer tout ça au bureau...

Je relève ensuite la tête pour lui sourire, tout en attrapant la valisette contenant mon glock de malheur.

- Et votre forge... pour mon aiguille à tricoter dans les yeux... elle est où ?

Oui oui, faut pas s'inquiéter, c'est juste le nain avec la taille de ses jambes, le poids de l'or et des objets qu'il ramasse partout, plus la bière dans le ventre, des fois il avance moins vite.

Une crevette acharnée… C'était un rigolo celui-là. Le genre a toujours raconter des blagues pour éviter les questions. Ça ne m'étonnerais qu'à moitié d'apprendre que ses collègues ne savaient pas grand-chose de lui.

 - Mieux pour eux leur bien-être ou pour ta réputation ?

Il faut quand même avouer qu'il avait raison sur ce point. Aller s’entraîner avec ses collègues, vu son niveau, le ridiculiserait affreusement et serait même un peu dangereux pour les autres à côté.
Voilà qu'il voulait vraiment son épée maintenant ! C'était pas un problème, mais le matériel me manquais. Après, s'il était disposé à allonger la monnaie, ça pouvait s'arranger…

- Où elle est ? Chez moi bien sûr ! Tu pars plein Est, en coupant par la forêt, et une fois en Suède faut remonter un peu et te voilà arrivé. C'est pas bien dur à trouver quand on s'y connaît. Et même un idiot trouverait l'endroit en ce moment, entre la forge allumée en permanence et l'écho quasi incessant du marteau-pilon, on a déjà trouvé mieux comme camouflage. Mais je vais te dire, je préfère l'endroit comme ça. Et puis les armures vont pas se réparer toutes seules en attendant de servir à nouveau au printemps, n'est-ce pas ? La Renaissance et les aciéries ont fait du tort à la profession, mais comme on est plus beaucoup à savoir faire ce genre de manip, on tient le coup. J'espère même qu'on aura des pointes de flèches à faire cette année ; depuis qu'ils les achètent en magasin on en fait pratiquement plus… Un jour on va voir arriver le conservatoire royal pour nous mettre sous verre façon "conservons les reliques". Qu'ils essayent tiens, ils vont pas être déçus…

Un instant de flottement s'installait, et je réalisais subitement pendant ces cinq secondes que j'avais encore trop parlé. Dès que ça concernait ma forge, et par extension la maison, j'étais intarissable. Heureusement que ça ne paraissait pas trop étrange, du moins juste assez pour être encore crédible. De toute façon c'était vrai, il y avait une forge au village. Plusieurs même, juste entre l'armurerie et la table à runes. Deux endroits qu'il était préférable de ne jamais mentionner à moins d'être proche du coma éthylique, au moment où le peu de personne pouvant comprendre ce que l'on veut dire n'y prête plus attention.
Je souriais. Entre ma petite taille et mon métier, j'étais surpris de voir que le gamin n'était pas en train de me demander ce que j'avais fais de ma pioche et de mon or, juste pour plaisanter. J'arrêtais de mâchouiller mon cigare en le reprenant à la main et m'adressais à lui.

- Et c'est tout pour aujourd'hui. la semaine prochaine, le vieux Nils vous apprendra comment manier le bouclier ! Je remarquais qu'il avait sa mallette à la main et allait donc partir. Avant de retourner sauver Hyrule, t'as le temps de boire un coup ?  

Au moins, on pouvait dire que le nain, il allait droit au but. Et ça me convenait plutôt bien, ça changeait de ceux qui prennent des pincettes, soit parce qu'ils me pensent que je suis une petite chose fragile, soit parce qu'ils ont peur de ce que pourrait leur faire la patronne. Comme si je savais pas me débrouiller tout seul pour me débarrasser des petits merdeux dans leur genre... J'agitais ma main légèrement blessée en prenant un air détaché.

- Hum, les deux ? Je veux dire, je suis déjà assez menaçant comme ça, non ? Surtout avec un bandage pareil ! Ils ont pas en plus besoin de savoir qu'ils peuvent se prendre une balle perdue en allant s'entraîner au tir...

Et ma réputation... bah, au point où elle en est... Je sais de quoi je suis capable, ce qu'ils en pensent ou ce qu'ils en disent, c'est pas mon problème. Si ça les amuse de dire de la merde... tant que ça devient pas personnel, je m'en fous. Et dans le cas contraire... ils comprendront très vite à qui ils ont affaire.

J'écarquillais légèrement les yeux lorsqu'il me racontait, presque sans détour, d'où il venait et depuis combien de temps il donnait dans le battement de fer. C'est vrai que face à un humain qui n'y connait rien, ça pourrait en être comique, mais... tiens. Le voilà qui attise ma curiosité. Je hausse les sourcils, un petit sourire en coin.

- Des pointes de flèche ? C'est que ça pourrait m'intéresser. Vous les faites en quoi, exactement ?

Bon, je pratique juste pour le fun, je fais pas dans la chasse et encore moins dans le m'as-tu-vu, mais je ne peux clairement pas cracher sur de la fabrication naine, si on me prend par les sentiments ! Même si je n'aime pas vraiment l'idée de partager mes passions avec mes collègues... cela dit, s'il entre dans les rangs, il ira pas gueuler partout que c'est un nain. Enfin j'espère. C'est que ça a une certaine fierté, ce genre de bestiau. Manquerait plus qu'on dégote un elfe, et on pourra lancer des missions à base de statuette de Gladeulfeura. Je reprenais un air un peu plus sérieux en me redressant dès que je réalisais ce qui venait globalement de se passer là tout de suite, entre lui et moi, histoire qu'il ne prenne pas trop peur.

- C'est pas mon truc, les armes à feu, mais j'ai pas grand chose à envier à Robin ou à William quand il s'agit d'un bon vieil arc à l'ancienne. Et puis, faut avouer que c'est plus discret.

Et qu'une flèche est plus facilement détournable par télékinésie qu'une putain de balle de pistolet. Cela dit, je ne fais plus ça, maintenant, j'ai assez de pratique pour ne pas avoir à en arriver là, sauf pour éviter un accident. Mais comme je n'en fais que seul dans les bois sans âme qui vive aux alentours... ouais, nan, je n'utilise pas mes pouvoirs quand je tire. À l'arc du moins. Je devrais m'exercer au flingue dans ce but, peut-être que ça marcherait... ouais, nan, je pense qu'il faut clairement que je débloque un truc dans mon putain de crâne avant. Le problème se trouve là.

Et encore une surprise. Un nain me proposait de boire un coup ! Je tiendrais clairement pas la distance, mais même sans ça... mes relations sociales sont telles que la dernière fois qu'on m'a proposé ça remonte à... au moins l'année dernière. Je souris encore, faudrait pas que ça devienne une habitude !

- Euh... ouais ! Avec plaisir. T'as un coin particulier ?

Pour avoir été élevé avec un alcoolique... l'endroit est souvent plus important que l'alcool ingurgité. De toute façon, c'est pas l'Angleterre ici. Le choix est assez limité avant l'ouverture des bars. Quoi que, je suis sûr qu'un type comme lui sait où se pinter à toutes les heures du jour ou de la nuit. Putain. Faudra jamais qu'il croise mon père, celui-là.

Yep yep, c'est juste les délais de rentrée ^^

- Cette balle perdue est précisément la raison de continuer à tirer jusqu’à ce que tu touche la cible. Je précise : que tu touche la cible volontairement et avec toutes les balles. Même si elles ne font que trouer le papier dans les coins, en situation réelle elles passeront près de ton adversaire. Assez pour qu’il reste caché pendant que tes collègues s’approchent de lui pour le choper. A défaut de toucher le type d’en face, au moins tu buteras pas tes potes.

Mon regard tombait sur le bandage que je lui avais posé à la main. S’il pouvait se faire ça tout seul, est-ce qu’ils allaient vraiment l’envoyer sur le terrain ?

En quoi étaient faites nos flèches ? Sérieusement ? Avec une question pareille, il était vraiment archer le gamin ?

- Ben en acier ou en fer, selon l’usage désiré. On en a déjà fait quelques-unes en bronze pour un film, et il me semble qu’ils ont réussit à empenner des pointes en verre pour un client particulier. Mis à part de la déco, je vois pas ce qu’il va en faire ; mais bon tant qu’il revient en acheter chez nous, je me fiche du reste. Et pas de carbone ou de trucs dans le genre. De bonnes flèches, comme on est encore les seuls à en faire.  

Discret… Il avait pas connu le vieux Jack Churchill celui-là. Mais il avait raisons sur le point que l’arc était néanmoins une arme puissante, encore plus depuis qu’on y avait mis des poulies pour que même des ablettes comme lui puissent se servir d’un 80 livres sans transpirer. Et puisque le plastron d’acier était un peu passé de mode, ça pouvait être assez efficace, du moins pendant quelques temps.  

- Ouais je sais où aller. On devrait être bien, y’a pas grand monde à cette heure-là.

Le monde est petit. J’avais trouvé en ville le cousin d’un vieil ami, et il avait de loin la meilleure bière de toute la région. Il était ouvert pratiquement tout le temps, à la limite du temps autorisé ; mais ce n’était pas une salle de jeu underground. Enfin pas que, alors y amener un flic était pratiquement sans problème. Et puis Thorvard n’en était plus à son coup d’essai, j’étais donc confiant.



- Aller viens l’jeune. T’inquiètes ça va pas être si terrible que ça.

Un dernier coup d’œil en arrière pour être sûr de ne rien oublier, et je l’entrainais dehors. Et ce nouveau contact physique me confirmait qu’il y avait définitivement quelque chose de pas normal chez lui. Je rejetais cette idée immédiatement. Putain de stress post-trauma, comment un mec comme lui pourrait être un danger ? Mis à part pour lui-même bien sûr…

Bon, O.K., il avait raison, je devrais m'entraîner un peu plus. N'empêche que. Premièrement, aucune chance que je termine sur le terrain un jour, et deuxièmement, le problème n'est pas de viser, mais d'arrêter de me chier dessus à chaque fois que j'ai une arme à feu dans les mains. Je doute simplement qu'un nain de son genre puisse comprendre ça. De toute façon, même moi je me comprends pas sur ce coup là. Enfin, c'est pas comme les phobies étaient rationnelles... Y'en a c'est le vertige, moi c'est les flingues. Les vrais.

Cela dit, ça me remonte un peu le moral quand on se met à parler d'une arme qui est plus dans mon domaine. Je suis pas super à l'aise avec le fait de partager ma passion plus ou moins secrète avec un futur collègue, mais bon, tant pis, c'est fait. Je lui passe commande pour quelques flèches en acier pour commencer, on verra bien pour plus tard ce que ça donne. En tout cas, j'ai hâte de les avoir en main et de les décocher voir ce que ça donne.

Et me voilà finalement, presque sans le vouloir, dans la taverne d'un nain, accompagné d'un autre nain, à m'enfiler des bières. Moi qui ne suis pas un habitué de l'alcool (du moins pas comme ça), je finis vite par me retrouver à moitié bourré. En tout cas, quelque chose me dit que le Schtroumpf, il m'a légèrement grillé sur ce que je suis. Enfin, il n'aura pas deviné mes origines, mais à coup sûr, à devoir à moitié me porter sur son dos pour me ramener chez moi comme je marchais pas droit, il sait que je ne suis pas tout à fait humain. D'habitude, c'est plutôt discret, mon côté surnaturel, mais avec quelques pintes dans le nez, je pense pas l'avoir trop été quand ils'agissait de faire venir une choppe à moi depuis l'autre bout du comptoir... Bordel, ce que je hais l'alcool et ce que c'est capable de nous faire faire...