"Le juste châtiment de ta folle hardiesse" (Ft Nils Hróaldrsson)

Une matinée paisible, dans un quartier où la routine de ses occupants ponctuait les minutes comme une horloge bien réglée. Le quartier des affaires avait son lot d'habitués, et tous semblaient faire partie des murs. Même le jeune garçon sur un banc extérieur non loin de la banque qui égrenait quelques notes de musique sur sa guitare paraissait suffisamment à son aise pour prétendre être là depuis des siècles.

Sølveig de son côté, détonnait dans ses lieux théatralisés. En entrant dans le hall, la semelle de ses chaussures avait couinée sur le sol lisse alors qu'elle prenait place dans la file des clients de la banque. En ce qui la concernait, elle était simplement là pour déposer les chèques de son travail auprès des enfants d'Eiril... rien de bien particulier. Mais les personnes qui la précédaient dans l'attente devaient avoir des demandes plus complexes puisque la file n'avançait pas, et la jeune femme se résolut à devoir passer plus de temps que prévu entre ses murs.

Derrière elle, d'autres clients étaient entrés à sa suite, patientant comme elle qu'enfin, quelque chose se produise et que cesse cette morne matinée engluée dans l'attente d'une histoire sans fin.

Prétextant qu'il pouvait tout faire depuis son bureau, le gamin n'avait pas voulu m'accompagner. Certes, c'était vrai, mais ça ne faisait pas très sérieux. Enfin c'est ce que je pensais. Mais moi et mes habitudes de boomer… Je me retrouvais donc seul pour représenter l'entreprise devant le directeur de la banque. Il souhaitait réaliser un audit de la sécurité de son établissement, car son prédécesseur avait préféré se fier uniquement au faible taux de criminalité de la ville pour éviter d'investir. Le résultat était une banque avec du marbre dans le hall d'entrée et de belles finitions, mais où on pouvait entrer comme dans un moulin. Et ce n'était que l'expertise rapide.

Le chantier s'annonçait long si nous voulions protéger la banque. Le directeur voulait "faire payer le prix de sa cupidité à celui qui veut prendre et non gagner". Soit. J'étais à deux doigts de lui proposer de miner la salle des coffres, mais pas sûr que ce soit apprécié par l'inspection du travail…

Je prenais congé de lui et allais inspecter la banque tout seul. Je voulais vérifier la sécurité et je me demandais comment les employés réagiraient. Ils ne savaient pas vraiment qui j'étais ou qu'est-ce que je faisais sur leur lieu de travail. Le meilleur moyen de les aider ? Braquer la banque. Et en tirer des leçons par la suite.

Leiv nous avait ouvert un compte et un coffre. J'allais donc vérifier à quel point il était facile d'accéder au sésame. Je rejoignais la file d'attente devant le guichet, et curieux d'en savoir plus sur l'établissement, je m'adressais à la personne devant moi.

- Excusez-moi. C'est toujours comme ça par ici ?

Une voix avait tiré Sølveig de son attente. C'était l'homme derrière elle qui lui avait adressé la parole, lui demandant si ce rythme particulièrement long était habituel dans l'établissement.
- Et bien... aucune idée, c'est la première fois que je mets les pieds ici.
La jeune femme parcourait du regard le hall, plus attentivement, à la recherche de signes qui prouverait un fonctionnement peu efficace de l'établissement. Dans la file voisine, correspondant au guichet réservé pour les comptes professionnels et non d'individuels, une demi-douzaine de personne patientait. Et parmi eux, deux était venus avec un livre qu'ils consultaient debout, en même temps qu'ils attendaient leur tour, comme s'ils avaient anticipé le fait qu'ils auraient beaucoup à patienter.
- Ceux-là ont l'air d'avoir l'habitude toujours...
Elle les avaient montré à l'homme d'un signe de la tête, sourire aux lèvres. Si les habitués de l'établissement prévoyaient de quoi passer le temps lorsqu'ils venaient faire une démarche bancaire, alors l'établissement devait avoir une réputation assez marquée.

- Après, il faut peut-être savoir prendre son mal en patience...
Ses yeux parcouraient à nouveau le hall, glissant sur le sol en marbre et le long des murs élégamment peint. Sans oublier de noter au centre du hall cette petite fontaine d'apparat, qui trônait là comme pour mettre en valeur la richesse des lieux. Il y avait certaines personnes à la tête de cet établissement qui de toute évidence préféraient mettre en avant le superficiel d'une réussite au lieu de travailler sur le fonctionnement même de ce qui faisait l'essence du métier : savoir tenir une banque et répondre aux besoins des clients.
- Même si avec ce temps, il est vrai que ce n'est pas très agréable de rester debout...

Malgré que ce ne soit que la matinée, il faisait déjà particulièrement chaud dans l'établissement, et la verrière qui servait de dôme translucide au hall en guise de toiture ne faisaient qu'accentuer la chaleur... et l'attente dans l'atmosphère moite. D'une main alerte, Sølveig repoussa les courtes mèches noires venues sur son front, poursuivant son attente dans la file. Une personne avait enfin quitté le guichet et l'ensemble des clients avait du se contenter d'un seul malheureux pas en avant pour marquer cette avancée phénoménale.
Cherchant à se distraire, l'Elfe Noire laissa son ouïe vagabonder, mais la confidentialité des lieux et le point d'honneur qu'elle avait d'éviter d'entendre ce que les autres n'auraient pas souhaité être écouté la fit dévier son ouïe au delà des guichets de banque. Longeant auditivement les couloirs derrière le personnel d'accueil, filant le long de ce marbre sur lequel les pas des chaussures claquaient, elle devinait les différentes pièces, les différents coffres. Les yeux dans le vague, sans plus prêter attention à la situation dans le hall d'entrée où son corps se trouvait sous la chaleur des rayons traversant le verre, son ouïe avait franchis un sous-sol, s'infiltrant dans des couloirs reculés... Et au moment où elle réalisait être trop loin dans son écoute, elle qui ne voulait pas s'immiscer dans la vie privée des gens par ses capacités auditives, la déflagration lui lança une douleur vive au crâne.

Dans le hall, la jeune femme portait subitement les mains à ses oreilles, baissant la tête sous le choc, les yeux aux paupières fermées sous ses sourcils froncés. Un léger gémissement s'échappa de ses lèvres alors qu'elle se massait les tempes, rendues douloureuses par le choc de l'onde du bruit qu'elle était de toute évidence la seule à avoir entendu. Dans le hall, les humains ne pouvaient avoir entendu le grondement d'implosion étouffée qu'il y avait eu à plusieurs dizaines de mètres d'eux, seules ses oreilles d'Elfe Noire avaient pu percevoir ce que leurs indiscrétions les avaient menées à écouter.
Sølveig tenta de relever la tête, mais la douleur qui vrillait dans ses tympans combinée à la chaleur qu'elle supportait depuis le début de la matinée dans ce hall ne le lui laissa pas la capacité de le faire. Un voile noir masqua son regard et la jeune femme se sentit partir, s'évanouissant dans le hall surchauffé.

Rapidement, le bruit de quelques voix la ramenait à elle, et la jeune femme reconnu parmi elles le timbre de l'homme qui lui avait parlé un peu plus tôt. Ouvrant les yeux difficilement, Sølveig tenta de s'assoir, cherchant à reprendre ses esprits. Son ouïe avec pris un choc avec ce bruit entendu dans les arrières de la Banque, mais elle se voyait mal l'expliquer à ses inconnus qui ignoraient tout des capacités d'écoute des Elfes Noirs... alors elle se contenta de se relever en accusant la chaleur présente, ce qui n'était pas un mensonge en soit. La chevelure de la jeune femme lui collait au visage, tout comme ses habits semblaient lui coller à la peau. Sans un mot, elle se dirigea vers la fontaine d'ornement, déposa sur le rebord de celle-ci l'enveloppe contenant les chèques d'Eiril, et s'immergea tête la première, se laissant glisser à l'intérieur.

L'exclamation du vigile qui surveillait la banque face à cette scène ne manqua pas d'amuser les quelques clients qui suivaient la scène, trouvant là une occupation pour combler l'attente dans la banque, alors que l'homme attrapait la jeune femme par les pieds -seule zone non immergée afin d'épargner aux baskets qui couinaient déjà en temps normal sur le dallage, d'en plus faire un bruit d'éponge écrasée à chaque pas. Ressortie ainsi de la fontaine, Sølveig se contenta d'un laconique "C'était soit ça, soit j'enchainais sur un deuxième malaise" face aux remarques de l'agent qui, s'adoucissant un peu, la mena jusqu'à un banc.
La jeune femme s'assit, secouant la tête pour repousser le trop plein d'eau gorgé dans ses cheveux et se passa la main sur le visage en soupirant. Son oreille droite sifflait, la gauche était en plein acouphène, elle avait mal à la tête et était trempée. Pas la meilleure façon de commencer la journée...

Cherchant son enveloppe du regard, Sølveig vit que l'homme qui était jusqu'alors derrière elle dans la file venait vers elle avec, l'ayant ramasser sur le rebord de la fontaine. Le vigile le laissa lui aussi franchir le cordon séparant le devant de la banque pour les clients à la partie arrière pour le personnel, rejoignant la jeune femme sur le banc.
Sølveig récupéra l'enveloppe en le remerciant, tout en lui faisant signe qu'elle ne pouvait l'entendre parler. Et puis, pour éviter de le laisser perplexe face à la situation, elle expliqua
- J'ai habituellement... une très bonne ouïe. Du genre à entendre ce que d'autres oreilles ne perçoivent pas et... j'ai un acouphène. C'est à cause de l'explosion de toute à l'heure, en bas... je sais pas ce qu'ils font dans cette banque, mais si j'avais su qu'ils maniaient des explosifs, je n'aurais pas laissé mes oreilles trainer... J'ai l'impression de m'être prise des balles d'air-soft dans les tympans. Mais genre taille balle de golf quoi, pas du petit calibre....

Il l'avait vu s'évanouir presque en même temps que cela lui arrivait. Appelez ça l'instinct ou l'expérience, mais il l'attrapait par la taille juste à temps pour qu'elle ne se fracasse pas le crane sur le marbre du sol. Elle revenait vite à elle cependant, et sautait dans la première fontaine venue. C'était une solution comme une autre…
Elle avait perdue son chèque pendant son acrobatie, et Nils lui ramenait son bien après avoir reçu l'accord du vigile. Il passait donc dans la zone interdite sans trop de mal. Intéressant… Mais ce que la jeune femme lui racontait l'était encore plus.

- Des explosifs ? Vous êtes sûre ? Ça pourrait être un marteau piqueur.

Elle lui signalait à nouveau qu'elle ne pouvait rien entendre, mais elle semblait avoir lu sur les lèvres de Nils puisqu'elle répondait malgré tout.

- Oui, ça a explosé, et pas à demi.

Il aurait préféré une autre réponse. La douleur se lisait sur le visage de la jeune femme, qui venait de se révéler comme n'étant pas humaine, car personne d'autre qu'elle ne semblait dérangé par le bruit. Il décidait d'agir, plutôt que d'alerter la sécurité, car son instinct lui disait que la situation pouvait tourner à son avantage.  

- Venez avec moi.

Il lui faisait signer de la suivre. Le vigile était parti s'occuper des clients lorsque certains d'entre eux s'étaient agités soudainement. Des malins avaient apparemment profité de la commotion liée à la jeune femme pour gagner quelques places dans la file, et cela ne plaisait pas à tout le monde. Profitant du fait que le garde tentait de ramener un semblant de calme en démêlant cette histoire, le nain emmenait l'elfe vers les coffres. Il était temps d'en savoir un peu plus sur cette démolition impromptue.
Ayant retenu les plans de la banque, il avait une connaissance toute théorique de l'agencement des lieux. Il entrainait la blessée aux oreilles fines à l'écart et lui parlait par signes, lui demandant si ses oreilles allaient mieux. Il avait besoin qu'elle puisse entendre pour lui expliquer le plan d'action.

La jeune femme était encore un peu sonnée par l'attaque auditive qu'elle venait de vivre, mais s'était laissée entrainée par l'homme sans vraiment broncher. Se massant la tempe droite distraitement avec trois doigts, tentant de faire taire ce sifflement intempestif, alors que du côté gauche son audition semblait revenir peu à peu.
Derrière eux, le vigile s'efforçait de rétablir l'ordre initial de la file d'attente, sans plus se préoccuper d'eux... Ils étaient pourtant bel et bien passé du côté interne de la banque, réservé aux initiés. Eux, simples clients venus pour affaires classiques.
Eux, simples clients, vraiment ?

Leur simple association pourtant détonnait déjà, binôme impromptu qui se faufilait ainsi dans les entrailles de l'établissement... Lorsque l'homme lui demanda si ses oreilles se remettaient du choc, Sølveig hocha la tête, affirmative. Bien que l'une des deux lui semblait encore en perdition, comme si avec cette perte d'audition c'était l'équilibre entier de la jeune femme qui était menacé, boiteuse éphémère... Elle pouvait néanmoins entendre à nouveau ses interlocuteurs et ainsi l'homme qui lui faisait face.
- Disons que ça peut aller.
Sans plus s'appesantir sur son cas, l'Elfe Noire observa l'inconnu, réalisant seulement à cet instant l'incongruité de la situation. Que faisaient-ils tous les deux ici même ?
Soupçonneuse, elle le questionna à voix basse.
- Avez-vous un quelconque lien avec l'explosion qui vient de se produire ?

Il levait les mains au ciel en entendant la question de son acolyte, oubliant pour un moment qu'il fallait mieux rester discret.  

- Pourquoi diable les gens me posent toujours cette question ? Je ne suis pas la source de toutes les explosions du monde ! Nommez-moi évêque du Grand Boum pendant que vous y êtes !

Il continuait à grommeler dans sa barbe pendant quelques instants avant de revenir à la conversation.


- Donc non, ce n'est pas de mon fait. Maintenant je vais vous dire ce qu'il se passe : je pense que cette banque est en train de subir un cambriolage. Probablement une petite équipe, arrivée par un tunnel, et qui est tellement mal équipée qu'elle doit faire sauter les portes des coffres à la dynamite plutôt que d'utiliser des méthodes plus discrètes.

Il laissait le temps à la jeune femme de digérer l'information avant de continuer, sans pouvoir se retenir d'afficher un grand sourire.

- Laissez moi vous poser une question. Ça vous intéresse un paquet d'argent en contrepartie d'un effort minime ?

Etrangement, l'homme avait eu beau jurer qu'il n'était en rien responsable d'une quelconque manière de l'explosion ayant eu lieu, l'Elfe Noire ne pouvait s'empêcher de penser le contraire. Une sorte d'intuition... l'idée que même s'il n'avait pas provoqué l'explosion du jour, quelque part il était probablement bel et bien un Maître du Grand Boum.

Probablement que les précisions apportées ensuite, sur le type de cambriolage réalisé, avait joué en sa défaveur pour montrer patte blanche. Enfin voyons, il faut forcément s'y connaître pour faire de telles suppositions sur le procédé mis en œuvre. Sans compter ce sourire absolument ravi qu'il abordait depuis quelques instants déjà...

Sølveig était toujours soupçonneuse donc, mais également curieuse, et plus encore en entendant la dernière phrase de l'inconnu. Se faire un paquet d'argent ? Par un effort minime ? Que comptait-il faire au juste, voler les voleurs ?
- Hum... dîtes toujours à quoi vous pensez, pour voir ?
Sans trop se mouiller -piquer une tête dans la fontaine lui avait largement suffit- la jeune femme préférait savoir quel était le plan avant de s'engager dans quoique ce soit avec cet homme. L'Elfe Noire restait prudente, après tout, l'inconnu pouvait être n'importe qui. Y compris l'évêque du Grand Boum, qui sait.

Elle ne réagissait pas trop mal, au vu des circonstances. La plupart des gens se serraient enfuis en appelant la police, mais il faut croire que le passage dans la fontaine l'aidait à garder la tête froide. Et probablement que l'idée de se faire de l'argent l'intéressait fortement aussi.


- Je vais vous éviter les détails pour le moment, mais en gros je travaille pour une agence de sécurité. Et nous aimerions beaucoup refaire le système de cette banque, même si le directeur insiste pour dire qu'elle est extrêmement sûre.

Une nouvelle détonation se faisait entendre, faisant presque croire qu'il s'agissait là d'une porte claquée avec violence. Mais pour ceux qui savaient les écouter, les vibrassions du sol ne mentaient pas. Nils reprenait son explication, sans pouvoir cacher une expression satisfaite sur son visage.

- Ces apprentis cambrioleurs m'ont devancé de quelques jours, mais ils vont tout faire foirer s'ils continuent à dynamiter le sol comme ça. Je vous propose donc d'aller les voir, de leur expliquer à quel point leur choix de carrière est désastreux, de finir le larcin à leur place, et de repartir comme une hirondelle un soir d'été.

Au fond de lui, il savait qu'elle avait déjà accepté. Un boulot aussi simple, c'était du gâteau. Et puis il ne connaissait pas un seul surnat qui ne trouve pas l'argent attrayant. Enfin sauf son vieil ami Grimwald, qui évitait ce métal à cause de sa lycanthropie…
Nils n'était pas équipé pour gérer une équipe de malfrats déterminés et armés jusqu'aux dents, alors il espérait juste que les voleurs déjà en place étaient des nouveaux dans la profession. Des jeunes, un peu enflammés par la passion, qui volent une banque en guise d'argument, compensant leur manque d'équipement et d'expérience par la détermination et l'adaptation.