Petite pause [Narayan Kumar]

On est jeudi soir, tout juste 23h30 et je suis déjà exténué. Je travaille encore jusqu’à samedi soir et je ne sais vraiment pas comment je vais faire pour arriver vivant jusque là. Pourtant je ne laisse rien paraître, je continue de sourire, de faire comme si de rien était et je continue à être bon dans mon travail, que ça soit dans les chambres ou bien pour la danse. Je prends tout de même plus de pauses que d’ordinaire, mieux vaut ça que de m’écrouler dans un coin. Je me rends donc dans une des loges pour m’avachir sur la banquette, me faisant du vent avec un magasine que j’ai trouvé sur place. J’ai une bouteille d’eau à proximité ainsi qu'une barre protéinée. Ça n’a rien à voir avec un vrai repas mais c’est toujours mieux que rien. Les yeux clos, j’écoute les bruits environnants mais c’est plus fort que moi, je finis éventuellement par somnoler.

La soirée a commencé depuis un petit moment, autant dire que moi la haut vers mes platines, je donne mon maximum, je fais tout pour qu’on soit fier de mon travail, me donnant a fond. Par rapport a mes débuts ici, j’ai déjà meilleure mine, déjà je dors a mon souhait dans un lit, un vrai, j’ai de l’argent afin de manger a ma faim, même si c’est dur pour moi de m’alimenter correctement, j’ai enfin un vrai suivi médical pour ma transition, tout roule.
D’ailleurs, je commence a avoir un coup de barre et le comptoir est bondé de monde, alors je me prends de quoi boire et je me dirige vers les loges, c’est habituellement calme, j’ouvre doucement la porte au cas où quelqu’un soit déjà là et c’est le cas, sauf qu’il semble endormi, j’entre a pas de loup en refermant le plus délicatement derrière moi, espérant ne pas réveiller la personne.

Je ne sais pas si j’ai un sixième sens ou bien si c’est d’avoir vécu dans la rue qui m’en a donné un en quelque sorte, mais je sens une présence dans la pièce et ça me tire de mes songes avec une sirène d’alarme interne. Je me redresse donc d’un coup et ouvre les yeux, scannant les lieux jursqu’à que mes yeux se posent sur le nouvel arrivant. Je reconnaît Narayan, il bosse ici lui aussi en tant que DJ mais comme pour les autres je ne lui ai jamais réellement adressé la parole si ce n’est bonjour au revoir si besoin. Ils doivent tous commencer à sérieusement penser que je suis antisocial, c’est peut-être le cas. Mais dans le fond je vois bien assez de personnes, et je laisse bien assez de personnes me toucher tous les soirs, pas besoin de me faire des amis pour compliquer les choses.

« Salut »

Je reste courtois quand même, me frotte les yeux avec précaution pour y chasser toute trace de sommeil sans pour autant étaler mon maquillage noir et ressembler à un petit panda, puis je lui offre un petit sourire.

Alors que je me faisais discret comme l’elfe que je suis, je le vois immédiatement se redresser.Mince, j’ai raté mon coup de la discrétion, mais ayant aussi vécu dans la rue, je sais ce que c’est que d’avoir une alarme interne par pure protection de soi. Le jeune homme me salut, tout en se frottant les yeux, je souris doucement en prenant une gorgée de mon verre avant de m’approcher et de m’asseoir pas bien loin.

« Salut…excuse moi si je t’ai réveillé… »
Mon accent a coupé au couteau n’est pas très discret mais j’assume, je souris et je pose mon verre sur la table basse devant moi avant de m’étirer un peu, car mes articulations des épaules me font un peu mal a force de gesticuler dans tous les sens.

Il vient s’installer près de moi, enfin pas trop près non plus et c’est tant mieux. En dehors des chambres j’aime bien préserver mon espace vital. Il s’excuse avec un fort accent et je hausse doucement les épaules.

« C’est pas grave, je ne devrais pas dormir maintenant de toute façon, sinon je ne serais plus assez performant »

Je bouge mes sourcils de bas en haut, affichant un petit sourire en coin. On ne se connaît pas tous les deux, pas vraiment en tout cas, mais il doit très certainement savoir ce que je fais ici lorsque je ne suis pas en train de danser dans la salle principale. Mes yeux se posent sur son verre un instant puis je les reporte sur son visage. Je ne dirais pas qu’il est très masculin, ni trop féminin non plus, il a un certain côté androgyne qui ne me dérange pas. Après tout, j’ai une certaine part de féminité moi aussi. Un bâillement m’échappe et je me dépêche de plaquer une main sur ma bouche par politesse, je m’étire ensuite et me redresse correctement histoire de ne pas prendre le risque de m’assoupir une seconde fois. Mes yeux se posent ensuite sur le sol, je ne sais pas ce que je suis sensé lui dire, je passe tellement de temps seul ou à prétendre que ce genre de situation a le don de me mettre rapidement mal à l’aise.

Je ne peux me retenir de rire doucement quand il me dit qu’il ne peut pas se permettre de dormir maintenant sinon il ne sera pas performant quand il reprendra le boulot, je ne peux que rougir un peu, imaginant de quoi il parle. Je ne suis pas quelqu’un d’hyper grivois, j’avoue même être encore dans la fleur mais chut. Je tente de me reprendre vite, en raclant discrètement ma gorge et d’un coup de main j’envoie quelques mèches noires derrière mon épaule pour libérer mon visage. Un peu gêné, ne sachant pas trop quoi dire, jouant avec la paille de mon verre. Il baille, j’esquisse un sourire.

« Tu travailles encore longtemps cette nuit… ? »

Il a l’air de réagir bizarrement lorsque je parle de mon travaille, est-ce qu’il n’a pas comprit de quoi je parlais ? Ou bien si et ça le gêne ? Après tout il s’occupe de la musique lui, rien à voir avec certaines activités qui se déroulent dans le club … Hum, il est gêné j’en suis sûr et certain ! Je souris légèrement, ça fait tellement longtemps que le sexe est une banalité pour moi que j’oublie que ce n’est pas le cas pour tout le monde. Je regarde l’heure sur ma montre et hoche la tête.

« Encore trois heures, malheureusement, j’ai mal partout en plus »

Je plisse le nez et grimace, je n’aurais pas dû danser ce soir alors que j’étais déjà fatigué, je vais le sentir dans les jours à venir. Je m’étire et étouffe un nouveau bâillement.

« Je vais y retourner, le temps c’est de l’argent comme on dit ! »

Je me lève doucement, fais rouler les muscles de mes bras puis lui souris.

« A plus tard si on se recroise ! »

Je quitte la pièce en souriant toujours et retourne travailler.